" Ti mâmay pa ti roch "..." Les petits enfants ne sont pas des petites pierres " dit-on aux Antilles, pour dire qu'il grandissent, qu'ils poussent. Aujourd'hui, j'ai vu pousser le mien. Accroche toi p'tite mère ...
Munyahni, presque 17 ans. Un détail qui m'a toujours fasciné chez lui,
C'est la perfection de sa ligne de sourcils. Ben quoi ? Voyez vous mêmes...
(photo DR)
- Manman*, je vais à l'école M...!
- Ah bon ? faire quoi ?
- Voir les jolies filles !
Gloups... le temps de vous dire ça, il avait déjà enfilé son ensemble noir, celui dans lequel il pense qu'il est beau... Trois pièces des plus classiques, t.shirt sur pantalon de lin, avec chemise ouverte jetée par dessus. Je l'ai toujours revêtu d'habits africains et je lui ai interdit le port des habits à l'américaine et de la casquette à l'envers, uniforme de la plupart de ses camarades. Sa garde robe est constituée d'habits africains, de tenues de sport et de quelques chemises offertes par sa marraine, dont la noire qu'il vient d'inaugurer.
- Prête moi tes lunettes ! prête moi tes lunettes !
Alors là c'est grave. Si il prend mes lunettes, c'est qu'il a une idée derrière la tête. Laquelle ? Et puis j'ai pas envie de lui prêter mes lunettes, même si elles lui vont très bien...
- Fais vite maman, fais vite, c'est l'heure de la sortie, les filles vont partir, faut que j'y aille !
Et hop, mes lunettes passent de mon sac à son nez.
Un dernier coup du plat de la main pour tasser quelques locks rebelles, un dernier sourire à lui-même dans la glace, un dernier clin d'oeil à sa bonne étoile et le voila parti ! Sans un regard pour moi.
Tout ça a duré... même pas 5 minutes et je me retrouve toute essoufflée, toute seule, toute confuse. Les jolies filles ? Voila autre chose. Bien sûr qu'il a toujours été intéressé par les filles, mais jusque là, le football passait avant tout. Et là, c'est l'heure à laquelle il va habituellement à son entrainement. Pour la première fois, il va le rater pour aller dans une école voir... des jolies filles ? Ou bien UNE jolie fille ?
Oula... doucement la mère ! C'est pas la mer à boire, mais alors, pourquoi ce pincement au coeur ? Il est comme celui que j'ai ressenti le jour où je l'ai emmené à l'école pour la première fois. J'avais juré qu'on ne m'y prendrait pas et pourtant, je me suis retrouvée comme une idiote, en larmes, accrochée au grillage, et à la pensée que quelque chose de lui m'échappait pour toujours.
C'est ce qui se produit encore aujourd'hui.
Tout ça est d'un banal, et ça me parait pourtant tellement extraordinaire. Tout est passé tellement vite et le petit bout d'homme de 2,600 Kg qu'on m'a remis à la clinique est devenu ce grand jeune homme qui, 17 ans plus tard, me dépasse d'une tête et croit dur comme fer qu'il a tout pouvoir sur mon coeur.
Est-ce qu'il m'a demandé mon avis ? Non ! Il a décidé et hop, il est parti.
Et maintenant, pour lui, je crois entendre tinter la cloche qui sonne joyeusement l'heure des filles.
:-O ! 🙂
*Manman : Aux Antilles, on ne dit pas ma-man, mais man-man. C'est culturel !(Première publication : 29 Juin 2008)