Plus tard, j'achetai le dernier numéro des Cahiers du cinéma. Un article était consacré à Tarkovski, à l'occasion de la Rétrospective à la Cinémathèque française et au Festival de La Rochelle : Andreï Tarkovski, l'harmonie vue du chaos. Florent Guézengar y évoque avec pertinence "une œuvre vraiment exploratrice, en quête : un univers en expansion, ancré dans la matière et onirique, aux continuelles correspondances sensorielles, à la recherche ardente d'un autre réel, plus vrai, plus pur, plus unifié et artistiquement incarné que la réalité immédiate."
Il met aussi en garde contre la pétrification dans une "statue Tarkovski" : " Son influence sur le cinéma contemporain est imposante et, par là, devenue problématique. Tarkovski est presque déifié, et sa spiritualité comme son retour aux sources de la culture russe - provocantes en régime soviétique, idéalisées dans le nationalisme actuel - peuvent induire des catéchismes cinématographiques bien involontaires de sa part."
C'est un photogramme du Miroir, en pleine page, qui ouvre cet article, et je retrouvai dans un autre article, Poétique du grain de beauté, par Stéphane Delorme, pratiquement la même photo que celle que j'ai postée au-dessus, de Margarita Terekhova dans les couloirs d'une imprimerie. La différence est que dans les Cahiers, l'actrice tourne la tête et l'on peut mieux voir les trois grains de beauté dans son cou. " Or, c'est bel et bien ce que le cinéaste regarde et montre dès qu'il filme son actrice. Il lui demande sans cesse de tourner la tête, de pivoter, de montrer son profil, il joue sur la dissimulation et la révélation de ces trois grains de beauté. Le plus beau est lorsque cette exposition de grains contamine le plan tout entier : qu'elle se tienne devant un miroir déteint envahi d'ombres et de taches ou devant une feuille de cuivre martelé. La splendeur du Miroir vient de cette cohérence plastique. Peu importe finalement l'onirisme et les constructions imaginaires, Tarkovski est avant tout un réaliste : il filme la beauté qu'il a devant lui."
Encore une belle leçon : cette capture d'écran est pratiquement celle qui est reproduite dans l'article des Cahiers, mais je n'avais pas prêté attention aux grains de beauté, attentif plutôt à ce souffle de l'actrice sur le miroir. La marque des chefs d'oeuvre, c'est aussi la force des détails que chaque nouvelle exploration nous révèle.