C lous, voilà un titre qui sonne incroyablement juste pour ces implacables poèmes de jeunesse d'Agota Kristof (1935-2011). Ces poèmes inédits ont récemment paru chez Zoé ; cette édition bilingue est l'édition originale en hongrois et la première traduction en français. Ces textes sont issus des archives de l'auteur qui, peu avant sa mort, avait souhaité leur publication. Les reconnaissant, seulement à ce moment, dignes d'être publiés, alors que l'on sait que c'est la poésie et le théâtre qui sont les écritures fondatrices de l'auteur de la célèbre Trilogie des jumeaux (Le Grand Cahier, La Preuve, Le Troisième Mensonge).
À travers ses " poèmes-clous ", Agota Kristof nous livre des morceaux bruts de sa douleur hongroise, poèmes, ici rassemblés, et qu'elle avait perdus lors de son exil hongrois en 1956.
Réécrits de mémoire par l'auteur dans les années 1960, lors de son arrivée en Suisse, ces textes, au style tranchant inimitable, touchent le lecteur au cœur et le crucifient. Les mots, aiguisés à la pointe des sens, sont fichés dans la chair de la poète et fixent dans le temps et l'espace, la perte, l'exil, la mort, mais aussi parfois la nature et l'amour : thèmes de prédilection de l'œuvre d'Agota Kristof.
Sans détours, dans une économie de mots, avec cette " langue-lame " qui la caractérise, Agota Kristof nous plonge au cœur de la perdition humaine, dans le noir qui surplombe l'abîme et qu'illustre magnifiquement le très émouvant poème [Pas mourir] écrit directement en français :
" Pas mourir
pas encore
trop tôt le couteau
le poison, trop tôt
je m'aime encore
j'aime mes mains qui fument
qui écrivent
Qui tiennent la cigarette
La plume
Le verre.
J'aime mes mains qui tremblent
qui nettoient malgré tout
qui bougent
Les ongles y poussent encore
mes mains remettent les lunettes en place
pour que j'écrive ".
Clouer la mort par ses mots, c'est ce que nous offre Agota Kristof pour s'écarter temporairement du malheur, alors que quelques faibles notes d'espoir éclairent cet opus. En effet, la poète est " sans ailes ", ailes coupées par son histoire d'exil et l'Histoire ; elle semble avancer en titubant, dans un trébuchement où elle trouve toujours cet équilibre fragile :
" Dans le crépuscule perdant son équilibre
un oiseau libre s'envole de travers ",
au bord du gouffre, " au-dessus des fosses et des morts ".
Dans un rythme et une sonorité propres à l'auteur, " les poèmes-clous " d'Agota Kristof sont habités de mots simples, précis, pointus, concrets, presque quotidiens, et s'ancrent dans le corps comme un aiguillon qui nous rappelle que nous avons à supporter le poids des choses et du temps. En effet, la nostalgie de la douceur du passé,
la musique dans les arbres
le vent dans mes cheveux
et dans tes mains tendues
le soleil "
mon corps
est lourd comme le rocher
et aucune raison de
[...]
ton regard se refroidit
ta main se refroidit
ton front se refroidit
dans le mur
se mettre droit debout ".
j'étais de passage ".
Aimer
Mourir "
lorsqu'
un léger brouillard gris
[...]
clous
émoussés et pointus
la mort ".
À découvrir absolument.