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Agota Kristof, Clous par Martine Konorski

Publié le 08 août 2017 par Angèle Paoli

C lous, voilà un titre qui sonne incroyablement juste pour ces implacables poèmes de jeunesse d'Agota Kristof (1935-2011). Ces poèmes inédits ont récemment paru chez Zoé ; cette édition bilingue est l'édition originale en hongrois et la première traduction en français. Ces textes sont issus des archives de l'auteur qui, peu avant sa mort, avait souhaité leur publication. Les reconnaissant, seulement à ce moment, dignes d'être publiés, alors que l'on sait que c'est la poésie et le théâtre qui sont les écritures fondatrices de l'auteur de la célèbre Trilogie des jumeaux (Le Grand Cahier, La Preuve, Le Troisième Mensonge).

À travers ses " poèmes-clous ", Agota Kristof nous livre des morceaux bruts de sa douleur hongroise, poèmes, ici rassemblés, et qu'elle avait perdus lors de son exil hongrois en 1956.

Réécrits de mémoire par l'auteur dans les années 1960, lors de son arrivée en Suisse, ces textes, au style tranchant inimitable, touchent le lecteur au cœur et le crucifient. Les mots, aiguisés à la pointe des sens, sont fichés dans la chair de la poète et fixent dans le temps et l'espace, la perte, l'exil, la mort, mais aussi parfois la nature et l'amour : thèmes de prédilection de l'œuvre d'Agota Kristof.

Sans détours, dans une économie de mots, avec cette " langue-lame " qui la caractérise, Agota Kristof nous plonge au cœur de la perdition humaine, dans le noir qui surplombe l'abîme et qu'illustre magnifiquement le très émouvant poème [Pas mourir] écrit directement en français :

" Pas mourir

pas encore

trop tôt le couteau

le poison, trop tôt

je m'aime encore

j'aime mes mains qui fument

qui écrivent

Qui tiennent la cigarette

La plume

Le verre.

J'aime mes mains qui tremblent

qui nettoient malgré tout

qui bougent

Les ongles y poussent encore

mes mains remettent les lunettes en place

pour que j'écrive ".

Clouer la mort par ses mots, c'est ce que nous offre Agota Kristof pour s'écarter temporairement du malheur, alors que quelques faibles notes d'espoir éclairent cet opus. En effet, la poète est " sans ailes ", ailes coupées par son histoire d'exil et l'Histoire ; elle semble avancer en titubant, dans un trébuchement où elle trouve toujours cet équilibre fragile :

" Dans le crépuscule perdant son équilibre

un oiseau libre s'envole de travers ",

au bord du gouffre, " au-dessus des fosses et des morts ".

Dans un rythme et une sonorité propres à l'auteur, " les poèmes-clous " d'Agota Kristof sont habités de mots simples, précis, pointus, concrets, presque quotidiens, et s'ancrent dans le corps comme un aiguillon qui nous rappelle que nous avons à supporter le poids des choses et du temps. En effet, la nostalgie de la douceur du passé,

la musique dans les arbres

le vent dans mes cheveux

et dans tes mains tendues

le soleil "

mon corps

est lourd comme le rocher

et aucune raison de

[...]

ton regard se refroidit

ta main se refroidit

ton front se refroidit

dans le mur

se mettre droit debout ".

j'étais de passage ".

Aimer

Mourir "

lorsqu'

un léger brouillard gris

[...]

clous

émoussés et pointus

la mort ".

À découvrir absolument.


Agota Kristof, Clous par Martine Konorski


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