" Notre origine n'est pas en nous - in interiore homine -, mais en dehors, en plein air. Elle n'est pas quelque chose de stable ou d'ancestral, un astre aux dimensions démesurées, un dieu, un titan. Elle n'est pas unique. L'origine de notre monde, ce sont les feuilles : fragiles, vulnérables et pourtant capables de revenir et revivre après avoir traversé la mauvaise saison."
Emanuele Coccia, La vie des plantes, Rivages, 2016, p. 43
Regardez la scène d'ouverture de Solaris, le film sans doute le moins réussi de Tarkovski, mais il n'en recèle pas moins des merveilles, comme ces quelques minutes qui se passent sur Terre, alors que l'intrigue, basée sur le roman de Stanislas Lem, va nous transporter sur une planète entièrement recouverte d'un océan énigmatique. Pour qui s'attend à être plongé dans une ambiance traditionnelle de science-fiction, il y a de quoi être déconcerté : Tarkovski filme le calme courant d'un ruisseau, les algues immergées qui ondulent, une feuille ocre qui passe, fragile, emportée par le flux.
Cette feuille ocre, cette feuille qu'on dit morte parce qu'elle a quitté l'arbre dont elle était une infime partie, nous la retrouvons dans Le Miroir, à l'intérieur d'un livre d'art consacré à Léonard.
Plusieurs fois, le film sera incisé brusquement par un plan de feuillages, en noir et blanc, agités par le vent.
La seconde fois, la caméra va se déplacer vers la gauche, suivant le courant d'air qui forcit et qui fera tomber la lampe d'une table placée là, dehors, pour on ne sait quel usage.
"L'air que nous respirons, écrit encore Emanuele Coccia, n'est pas une réalité purement géologique ou minérale - elle n'est pas simplement là, elle n'est pas un effet de la terre en tant que tel - mais bien le souffle d'autres vivants. Il est un sous-produit de la "vie des autres". Dans le souffle - le premier, le plus banal et inconscient acte de vie pour une immense quantité d'organismes - nous dépendons de la vie des autres. Mais surtout, la vie d'autrui et ses manifestations sont la réalité même, le corps et la matière de ce que nous appelons monde ou milieu." (p. 66-67)