Fusain d'Alexandre Hollan
in Bernadette Engel-Roux, Ce vase plein de lait
Tu es venue, tu repars
Tu as pu rire réunie, tu seras éparse et muette
Q u'elle se soit éloignée pour susciter tant de présence est d'une étrange et douloureuse douceur. La lumière était entrée avec elle comme un grand rire. Ils virent tout autour s'élever les murs de la maison. L'air passe à travers les arbres où elle a mis tant d'enfants. Lorsqu'il se tient debout, le soir, sur le seuil d'où ils repartent, elle retient blottie dans ses bras d'homme la chaleur de ses transparentes épaules. Nos morts nous aiment si longuement.
C'est le poids d'un oiseau dans ses bras, d'un rocher dans son cœur. Il la voudrait tellement, encore, maintenant, toute d'air et de lumière, comme quand elle laissait ses foulards dans les branches et son rire dans l'air. C'est du ciel dans du ciel qu'elle déplace autour d'elle, il habite le pays dont elle lui a fait don, s'y oublie - quand, un fouet le cingle : maintenant ? ce rocher dans son cœur, dans sa paume ce souffle d'oiseau qui s'en va, qu'il suivrait, n'était ce rocher dans son cœur.
[...]
Du ciel dans les pages du livre au ciel sur le jardin, pâle et léger... Petite femme, si menue, posée sur le lit comme une feuille, détachée, qui se rétracte à épuiser le peu de sève qu'elle a encore pour ce sourire qu'elle veut offrir - et pourtant quelque chose de jeune, de frais, contredit l'âge qu'on lui sait, un air, un ciel bleu autour d'elle : elle nous y tient dans sa grâce. Elle me visite ce matin d'août.
Bernadette Engel-Roux, Ce vase plein de lait, Voix d'encre, 2017, s.f. Fusains d'Alexandre Hollan.