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Ce que le Service Militaire m’a appris

Publié le 29 juin 2008 par Prland

C’était il y a près de deux ans. Pour la première fois, je me laissais entraîner dans la rédaction d’un billet qui parlait de moi, vraiment. Il y en a eu peu d’autres depuis.

Vendredi, devant les yeux écarquillés d’un jeunot qui croyait à peine que le Service Militaire avait pu me concerner de près ou de loin, je me suis dit qu’il était temps d’exhumer ce récit que je viens de relire, finalement avec plaisir, et ça aussi c’est une première.

Alors pour les deux ou trois qui ne m’ont pas cru, voici Mon Service Militaire, tout y est vrai, même si ça ressemble parfois à une histoire à lire au coin du feu. Pour les autres, c’est beaucoup trop long, avec plein de mots, je reviens bientôt avec des images à colorier.

En 1992, j’avais la possibilité de faire mon service militaire entre 2 années d’étude dans mon école de com. J’avais aussi au passage un accès confortable au SIRPA, en tant qu’aspirant au service de com des armées, histoire de me planquer pendant 10 mois et faire la fête tranquille à Paris. J’ai plutôt choisi le 19ème Régiment du Génie de la Garnison de Besançon et ma famille à proximité, moi qui avais mis tant d’énergie à “monter à la capitale…”. Le prix à payer pour “faire l’armée” dans ma ville d’origine me paraissait alors de l’ordre du détail : 3 mois de classe et une affectation ultérieure indéterminée.

Les débuts m’ont fait l’effet d’une grande claque, une violente sortie de l’univers cotonné dans lequel je ne savais même pas que j’évoluais auparavant. La quasi totalité de la population française masculine était concernée et mélangée au hasard de mois de naissance concordants, sans considération de classe sociale, ce qui arrive finalement rarement dans le parcours d’une vie.  Mes premiers jours de service militaire ont donc transformé un chiffre, auquel on s’est tellement habitué qu’on ne le voit plus, en réalité sociale. Notre pays compte plus de 10% d’analphabètes. Et au-delà de la capacité à lire ou écrire un texte simple, ce sont parfois des rudiments de vie quotidienne qui échappaient à mes conscrits. Se saluer le matin et le soir, prendre un douche tous les jours ou déjeuner assis à une table à heure fixe se révélaient pour certains une nouveauté à laquelle ils adhéraient avec plus ou moins de facilité.

Dès les premiers jours, des groupes se sont formés, certains tentant de prendre l’ascendant sur les autres. La nature humaine. A ce jeu là, je n’étais pas forcément le meilleur. Pas armé. Moi qui avais plutôt jusque là été habitué à être bien vu par mes profs, je devais me coltiner un sergent qui de toute évidence me détestait pour m’avoir entendu raconter un soir qu’il passait un temps étonnamment long sous la douche le soir en même temps que nous (je continue à le penser mais c’est un autre sujet). Résultat : mes rangers n’étaient jamais assez cirées, mon tour venait assez souvent pour les corvées, j’étais toujours celui qui essuyait les plâtres pour les exercices… Il y avait aussi les “anciens” de plus de 3 mois bien décidés à en faire baver aux “bleus”, en mettant une grande énergie à nous compliquer la vie. Et enfin, l’idée des nuits passées dans un trou de combat peut se révéler ludique jusqu’à ce qu’elle se vive en plein mois d’octobre sous la pluie.

N’ayant pas particulièrement l’intention d’expérimenter 90 jours en enfer ni de rejouer la petite fille aux allumettes, j’ai décidé qu’il y aurait les disciplines dans lesquelles je serais le meilleur et que ça m’aiderait : personne ne m’a jamais battu au concours de montage/démontage de FAMAS le plus rapide ni aux montées à la corde avec les bras. Je n’y ai gagné aucun respect mais de la fierté. Pour le respect, j’ai compris que je devais prendre un risque.

Un jour où le “chef “de ma chambrée, gravement baraqué donc craint de tous, avait décidé que ridiculiser en public le plus faible d’entre-nous pourrait aider à faire passer le temps, j’ai vu une belle façon de prendre un risque. J’ai pris une énorme respiration, descendu ma voix de 2 tonalités, gonflé le torse et me suis planté devant lui pour lui faire savoir sur un ton presque détaché que c’était “vraiment une idée de sale con”. Je ne saurai jamais ce qui l’a retenu de m’en coller une devant mes potes tremblotants, qui n’auraient de toute façon pas bougé, mais il s’est marré et a abandonné l’idée : j’y ai gagné une mâchoire intacte… et le respect de mes potes. Et enfin, ma plus grande résolution a été de décréter que chaque moment désagréable deviendrait un film dont j’étais le héros. Lorsque que mon tour de garde arrivait dans mon trou de combat inondé, alors que je voyais quasiment la fenêtre de ma chambre dans la lunette de mon FAMAS, je tournais le long-métrage le plus drôle de l’histoire du cinéma.

A l’issue de trois premiers mois difficiles mais instructifs, le verdict est tombé : mon sergent préféré avait oeuvré pour que je reste 2ème classe quelques mois de plus. Avec à la clé des missions terrain caractéristiques du Génie : explosifs, tirs au revolver, parcours du combattant. Autant de punitions potentielles qui se sont transformées en partie de plaisir, une véritable superproduction hollywoodienne : tout devenait un jeu. Et ma “bonne résistance face à la pression que représente des armes réelles” m’a valu les compliments en public du Lieutenant pourtant réputé avare en la matière.

Un mois plus tard, je suis devenu “gradé”. Enfin “petit gradé” : Caporal-Chef. Suffisamment gradé pour prendre en même temps des responsabilité dans la sécurité et la tête d’une équipe de 4 gars que je ne connaissais pas. Deux de Marseille, un de Lille et le dernier de la banlieue de Lyon. Aucun du genre à se laisser diriger au sein d’une équipe, ni à éviter de rouler un pétard en pleine garde juste parce que je le leur demandais. Notre travail consistait à assurer la sécurité d’un site avec pour seule vraie contrainte des tours de garde quelque peu solitaires et ennuyeux en pleine nuit.

Un soir où je n’étais pas de garde et dormais, de violents coups de klaxon m’ont réveillé en sursaut. Le temps d’apercevoir les 4 lits autour de moi occupés, j’ai compris que l’un des deux marseillais avait jugé bon de se coucher plutôt que d’assurer sa mission de surveillance. C’est à ce moment que le Lieutenant avait décidé pour la première fois depuis des mois de venir visiter ses quartiers au beau milieu de la nuit. C’est donc ébouriffé et en vrac que j’ai couru ouvrir la barrière à plus de 3h00 du matin. Lorsque le Lieutenant est venu me demander des comptes, alors que je croyais les gars toujours endormi, je me suis entendu lui dire que c’était de ma faute et que je m’étais endormi à mon poste alors que c’était mon tour de garde. Sans autre conséquence qu’un grognement agacé du Lieutenant qui je crois m’aimais bien. Ce n’est que le lendemain, alors que je n’avais pas encore évoqué l’événement, que j’ai appris que mon équipe avait tout entendu et se sentait infiniment redevable de les avoir couverts. Ils me l’ont montré à leur façon, en partageant avec moi mon tout premier joint et en assurant l’intégralité de leur tour de garde jusqu’à la fin de mon service qui se terminait 2 mois plus tôt que le leur.

Le moment le plus marquant de cette période a eu lieu la dernière semaine : l’exercice du jour consistait à progresser en équipe dans un espace plongé dans la pénombre totale, le tout sans prononcer le moindre mot. Un peu Koh-Lanta avant l’heure. Exercice réputé anxiogène, de façon parfois totalement irrationnelle. En plein milieu du parcours, j’ai commencé à me sentir oppressé, angoissé par le noir absolu. Alors que je m’apprêtais à demander de l’aide, j’ai senti une main attraper la mienne pour me guider dans la bonne direction, jusqu’à la sortie. C’était la main du marseillais qui avait raté son tour de garde quelques mois plus tôt. C’était devenu un ami avec lequel j’ai continué à correspondre pendant plusieurs années.

Mon service militaire m’a permis de mesurer à quel point il est stupide de considérer son environnement direct comme représentatif d’une population quelle qu’elle soit. Il m’a aidé à comprendre que gagner le respect nécessite parfois de s’exposer. Il m’a aussi donné quelques clés de management qui me sont utiles aujourd’hui encore. Et il m’a donné l’opportunité de vivre des expériences explosives que je ne vivrai jamais plus et m’a appris à prendre les moments difficiles comme un jeu.

Je continue à penser que la suppression du Service Militaire n’était pas une bonne idée, une évolution aurait fait plus de sens. Je suis sûr qu’on y reviendra.


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