Cet article est dédié à Frédéric Jannin, Sergio Honorez et Isabelle Franquin qui font un travail formidable (eux !) pour la défense et la promotion de l’œuvre de celui qui fut et restera probablement à jamais le plus grand créateur de bandes dessinées de tous les temps.
Salut, ça va ? Il y a longtemps qu’on ne s’était pas vu sur ce site, pas vrai ? Et pourtant vous pouvez me croire, ce webzine, je l’aime : c’est parce que j’ai été sollicité pour y participer que j’ai finalement pris confiance, sinon en moi-même, au moins en mes compétences rédactionnelles que j’avais tendance, jadis à croire inexistantes. Mais assez parlé de moi : cette année, mine de rien, hasard de la chronologie, on aura célébré les 60 ans de Gaston Lagaffe, les 40 ans des Idées noires et les 10 ans de la mort de leur génial créateur, André Franquin. J’avance une hypothèse : est-ce que le dessinateur, dont l’allergie aux hommages était légendaire, n’aurait pas délibérément pris le parti de mourir en 1997 précisément pour échapper aux commémorations dont son œuvre allait faire l’objet ?
p.4 : Le rédacteur, racontant les toutes premières apparitions de Gaston dans le journal Spirou, en arrive à la troisième : Au numéro suivant, l’inconnu tassé sur une chaise s’allume tranquillement une cigarette. Il porte à présent un pull vert à col roulé et un jeans. Il faudra encore attendre six semaines pour que l’étrange stagiaire daigne articuler quelques mots. Inexact : après cette troisième apparition, ce n’est pas six semaines qu’il faudra attendre pour que Gaston, interrogé par Spirou, se mette enfin à parler, mais seulement trois. Les six semaines auxquelles il est fait allusion correspondent au temps que Gaston a pris pour ouvrir la bouche après de sa première apparition, dans le numéro 985 du journal.
p.6 : À propos de Jules-de-chez-Smith-en-face : Il se débrouille toujours pour ne pas être repéré, laissant la plupart du temps son copain assumer toutes les responsabilités. Contre-vérité : bien au contraire, Jules paie régulièrement les pots cassés des initiatives de son complice qui a notamment manqué de l’asphyxier avec une bombe insecticide géante et lui a coincé le doigt dans le goulot d’une bouteille de vin.
p.10 : Évocation d’un gag où Gaston convoque ses collègues à un barbecue dans son bureau. Approximation : Ce n’est pas dans son propre bureau que Gaston organise sa brochette-party mais dans celui de Lebrac, ce qui lui donnera l’occasion, au passage, de passer sur le gril la gomme du dessinateur.
p.12 : Expliquant pourquoi Gaston n’enlève pas son bonnet pour saluer ce vieil emmerdeur de Boulier : Non que le gaffeur ignore les usages, il a simplement peur de s’enrhumer en ôtant son bonnet parce qu’il est provisoirement chauve à cause des effets d’une lotion capillaire de son invention. Accusation injuste : Pour une fois, Gaston n’est pas responsable de ce qui lui est arrivé : s’il a effectivement été chauve pendant quelques semaines, il le devait à des publicitaires arrogants qui l’avaient tondu pour les besoin d’une réclame (mensongère au demeurant) vantant les mérites d’une lotion capillaire.
p.15 : À propos de la fameuse phrase « Mais si on danse ? » : Le gaffeur en chef la prononce lui-même chaque fois qu’il invente un nouveau déguisement pour aller à un bal costumé. Erreur d’attribution : Si la phrase est bien prononcée par Gaston dans la plupart des cas, le gaffeur revendique rarement la paternité des costumes extravagants et malpratiques qu’il endosse, conçus la plupart du temps par Fantasio ou par un autre compagnon de route trop heureux de se payer sa tête.
p.26 : Concernant la méthode de Fantasio, à base de paroles pleines d’ardeur, pour motiver Lagaffe : La technique n’aura strictement aucun effet sur le héros-sans-emploi. Réducteur : Disons plutôt que la technique fantasienne n’aura qu’un effet momentané et que Gaston aura du cœur à l’ouvrage pendant quelques minutes, le temps d’être découragé dès la première difficulté, en l’occurrence la collision de son crâne avec le plafond alors qu’il s’apprêtait à changer une ampoule…
p.34 : À propos de Sonia, la brunette sexy qui apparait dans le même gag que mademoiselle Jeanne : Apparue très tôt, elle a fini au fil du temps par devenir un personnage de premier plan pour une raison majeure : elle a tapé dans l’œil de Lebrac, l’alter ego de Gaston. Confusion : la jeune secrétaire à laquelle le dessinateur fait la cour se prénomme Solange et non Sonia ; certes, il faut le savoir, on ne découvre son prénom qu’une fois et encore est-ce dans un supplément au numéro 2560 de Spirou intitulé Le journal de Gaston (voir document ci-dessous) : mais ce n’est pas une raison valable pour faire l’amalgame entre deux personnages fort différents de physique et de caractère…
p.35 : Concernant les Idées noires : Ces histoires furent publiées dans une sorte de contre-journal autonome inséré dans Spirou, laboratoire éphémère baptisé Le Trombone illustré. Omission : le rédacteur oublie de préciser que Franquin a poursuivi cette série dans le mensuel Fluide Glacial.
p.37 : Gaston se voit attribuer la paternité d’une machine à jouer au bilboquet qui s’avèrera très nuisible aux lustres en cristal. Téléscopage : le rédacteur mélange ici deux gags où le bilboquet, riche gisement de gaffes s’il en est, joue effectivement un rôle central. Dans le premier, Gaston, constatant que son bilboquet est persona non grata chez Dupuis, se réfugie cher Smith pour jouer, menaçant sévèrement au passage l’intégrité d’un lustre que l’on imagine onéreux ; dans le second, il invente effectivement une machine à jouer au bilboquet qui ne fera de mal qu’au crâne de son créateur et à elle-même. Sur la même page, l’une des inventions de Lagaffe, le Mastigaston, est présentée comme permettant de mâcher son chewing-gum sans se mordre les joues. Surinterprétation : Outre le fait qu’il est assez rare de se mordre les joues en mâchant de la gomme (même Gaston n’est pas assez sot pour y arriver), c’est bien aux « vrais repas » qu’est destinée cette machine aussi esthétique qu’ingénieuse. Dans le même ordre d’idées, le gaffeur se trouve crédité de l’invention de la machine à cirer les œufs et à battre les chaussures en neige. Erreur : Gaston n’a jamais rien inventé de tel, ce grand distrait a simplement confondu sa brosse à cirer les chaussures avec son batteur à œufs, deux objets qui, il est vrai, se ressemblent assez.
p.50 : Sur ce que Gaston provoque en chantant : les vaches s’affolent en croyant reconnaître le mugissement d’amour d’une congénère. Mauvais choix de vocabulaire : on ne peut pas dire que les vaches aient l’air de s’affoler, tout au plus sont-elles intriguées de n’apercevoir qu’un grand dadais là où elles avaient cru entendre l’une des leurs. Avec son style très expressif, Franquin n’aurait pourtant eu aucun mal à montrer une vache s’affoler s’il en avait eu le désir…
p.60 : Dans le gag où Lagaffe introduit un cheval à la rédaction, on verrait Gaston déguisé en Lucky Luke. Nouvelle confusion : c’est bien pour rendre hommage au héros de son ami Morris que Franquin a habillé le sien en cow-boy, mais son costume n’est pas tout à fait semblable à celui du poor lonesome cow-boy et le gaffeur annonce juste être venu en cow-boy sans préciser l’éventuelle identité du garçon vacher qu’il est censé être.
p.61 : Parmi les motifs pour lesquels l’intervention des pompiers dans les locaux de Dupuis est sollicitée, on compterait les vannes d’eau laissées grandes ouvertes pour que Bubulle, le poisson rouge, se sente à l’aise. Fausse citation : La rédaction a bien été inondée à deux reprises pour assurer le bien-être du poisson rouge, mais il n’est précisé à aucun moment que les soldats du feu ont eu à intervenir.
p.65 : Gaston aurait dit, pour vanter les mérites de ce que produit la cafetière qu’il a lui-même bricolée, rien qu’à le respirer on est bon pour une nuit blanche. Erreur d’attribution : C’est Prunelle qui émet cette remarque, pleine de pertinence, sur l’expresso façon Lagaffe. En revanche, le rédacteur fait intervenir Prunelle dans l’affaire du contrat que Gaston a signé avec De Mesmaeker pour sa chicken soup au poisson, disant que le barbichu a eu un peu de mal à digérer la réussite gastonienne : le problème, c’est que le triste témoin de l’affaire était Fantasio et non Prunelle…
p.68 : Évocation d’un album culte paru en 1983 sous le titre Baston Labaffe. Deux lignes plus bas à peine, dans le même texte, le rédacteur souligne que le dessinateur Colman a également produit une imitation convaincante du Gaston des années 1960 dans un album titré Baston. Doublon : le même album est cité deux fois comme s’il s’agissait de deux ouvrages distincts et non pas d’un seul et même opus. De surcroît, il aurait été bienvenu de citer le titre exact de ce recueil de pastiches, à savoir Baston 5, La ballade des baffes.
p.72 : Alors que Gaston dormait, Prunelle l’aurait réveillé en lui rappelant qu’il est « le plus mauvais employé du monde ». Citation inexacte : Prunelle dit précisément « Vous êtes le garçon de bureau le plus mauvais du monde. » En soi, citer approximativement un auteur n’est pas gravissime, mais comme le gag dont il est question est publié juste à côté du texte, ça pique un peu les yeux…
p.74 : Sur les personnages vivant dans les lettres du titre du Trombone illustré : on y voit la plupart du temps un vieux bonhomme barbu qui, comme Diomède, vit dans le O de « trombone ». Aïe ! Diomède était soit le mythique roi d’Argolide qui prit part à l’expédition des Sept contre Thèbes soit le propriétaire des juments anthropophages capturées par Héraclès (Hercule pour les latins), mais en aucun cas le philosophe cynique dormant dans une jarre (et non un tonneau) auquel le rédacteur cherche sans doute à faire allusion et que tout le monde connait sous le nom de Diogène…
p.76 : La machine à trier fonctionnant au sandwich est attribuée à Gaston. Nouvelle erreur d’attribution : cette machine est en réalité l’invention de Prunelle et Lagaffe n’en est, à son corps défendant, que le moteur…
p.86 : Un article portant sur Ducran et Lapoigne, les imaginaires voisins de la rédaction de Spirou, se termine sur l’évocation de démêlés qu’eut la vraie rédaction avec la société de distribution du gaz qui n’apprécia pas une couverture de Spirou montrant une chaudière au gaz expédiée sur orbite par les soins de Gaston et, à titre de dédommagement, eut droit dans les pages de l’hebdomadaire à quelques articles bienveillants sur ses activités. Explication incomplète : l’évocation de ce fait rigoureusement authentique tombe comme un cheveu sur la soupe dans ce texte consacré aux constructeurs de ponts imaginés par Franquin ; elle aurait été plus pertinente s’il avait été précisé que le dessinateur, avec le soutien de son génial rédacteur en chef Yvan Delporte, avait caricaturé cette affaire en publiant dans les pages de Spirou de fausses publicités pour les points Ducran, Lapoigne et Cie.
p.89 : Citation de François Walthéry : « Je me souviens de dessins coquins de Gaston et Mlle Jeanne qu’il (Franquin) croquait pour amuser la galerie. Mais ça devait rester privé, il redoutait de les voir circuler. » Nouvelle ommission : de tels dessins ont pourtant fini par être publiés, en l’occurrence dans un numéro de Siné Hebdo grâce à l’initiative du regretté Jean-Jacques Loup qui avait croisé Franquin à l’époque du Trombone illustré.
p.94 : Dans les réponses à un quiz, il est raconté que M. Dupuis tombe nez à nez avec un cheval amené par Gaston pour fêter l’anniversaire de Lucky Luke. Faux : c’est De Mesmaeker, ce gros enflé, qui rencontre l’équidé, le prenant pour l’éditeur lui-même ! Le vrai M. Dupuis, lui, est tombé sur la vache introduite par le gaffeur dans ses locaux. Sur la même page, cerise sur le gâteau : il est dit que Gaston entrepose du corned-beef pour nourrir ses animaux dans le volume Y-Z [de son] dictionnaire. Archifaux : là, on se demande où le rédacteur est allé chercher ça. Il est vrai que Gaston déploie des trésors d’imagination pour dissimuler des denrées nourricières dans son bureau à la barbe de ses collègues. Certes, il utilise un dictionnaire comme cachette, mais ce n’est pas son propre dictionnaire et le corned-beef est destiné à sa consommations personnelle. Quant à ses animaux, il leur met en effet des friandises de côté, mais c’est dans le courrier international (celui qu’il est censé classer, pas le journal) qu’il dissimule ses boîtes de sardines portugaises destinées à son chat à de sa mouette qu’on voit mal, du reste, ingurgiter l’infâme pâté rosâtre que Pierre Desproges ne se résolvait à consommer qu’en cas d’extrême nécessité…
Conclusion : On a le droit de trouver que je pinaille, que je cherche la petite bête. N’empêche qu’à part le prénom de Solange, la plupart des erreurs qui viennent d’être citées ici étaient relativement aisées à éviter. Cela dit, la plus grosse gaffe, c’est encore moi qui l’ai commise en m’imaginant qu’il y avait encore quelque chose à sauver dans Paris Match… Bien fait pour ma pomme, Rogntudju !