Aujourd'hui encore, cette petite dame, toute menue, 99 ans au compteur, qui me dit que le grand voyage approche, et que cela lui tarde de prendre un aller sans retour...
Aujourd'hui, encore, ce monsieur, entre deux ages, ni jeune, ni vieux, qui sait que la fin est à la porte, et qui me demande de le faire partir, sans souffrir.
Aujourd'hui, encore, cette dame qui vient d 'apprendre que "le crabe" la ronge, et qui a peur... pour sa dignité, pour sa lucidité, pour ce qui arrive...
Et moi...
Au début de mes études d 'infirmière, la notion d 'éthique... était un vaste flou, qui ne m' intéressait guère. Ethique? pour quoi faire? hein? non mais attend moi je suis jeune, pas encore diplomée, et les problèmes de la vie des autres, les dégâts de la maladie, je les ai pas encore trop bien vu... pas connu ça moi encore...
Gerard, louis, Romy, Gilbert, Albertine, Sonia, Marie, Lucie, Elise, Henriette, Lucette, Albert...Autant de prénoms, de patients, d' êtres humains, qui un jour, ont craint de perdre leur dignité, leur lucidité, leur capacité de choisir la fin qu'ils voulaient.
Et moi... Maintenant, je suis maman, femme, j' ai accompagné tant de malades dans leurs derniers instants que j' ai arreté de les compter. J' ai tant pleuré que parfois je me demande si il est normal pour une infirmière d 'être aussi sensible...Et d 'un autre côté, mon dieu que je suis fière d 'avoir pu les accompagner, d' avoir pu les rassurer, d' avoir pu aider, juste par ma presence, au "lacher prise" de leurs âmes. Souvent je me surprend à me dire que c 'est une sorte de " cadeau" que me font les patients qui m' attendent pour partir.
Et puis, alors que j' avale les kilomètres, de Alain à Raymonde, je me dis que cette question Ethique, est maintenant pour moi, l' une des questions les plus fondamentales de ma vie d 'infirmière. Et je me dis, même si tu voulais, les aider d 'une autre façon... le ferais tu?Et je me demande si malgré ces moments privilégiés que nous partageons, d' humains à humains, d' âme à âme, cela me donne t il le droit d 'avoir ce pouvoir là sur la vie humaine?
Et je me résigne... Non,
Je n' ai pas appris à tuer.
J' ai juste appris à aimer... envers et contre tout, et malgré les difficultés. mais aussi à rester " dans les clous".J' ai juste appris à respecter les volontés de tous ceux que j' ai pu accompagner... j' ai appris la douceur, la patience, l' empathie. Mais pas à tuer.
Même si la délivrance, la liberté de pouvoir choisir la manière dont on veux mourir est devenue pour moi une liberté humaine fondamentale. Je ne crois pas que je serais capable de pouvoir aider moi même à le faire. Je ne sais pas si je pourrais supporter le fardeau d 'avoir ce "pouvoir" dans les mains.
Je n' ai pas appris à tuer.
Et pourtant, il serait peut etre temps que cette liberté humaine soit reconnue...