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Dans la rivière des Outaouais

Publié le 21 septembre 2017 par Barbu De Ville @barbudeville

Dans la rivière des Outaouais

Au début des années 50, c’était la grosse misère sur la côte de sable!

La côte de sable, c’est un quartier pauvre à Lachute dans le comté d’Argenteuil! Il y avait le secours direct pour les plus pauvres et il y avait en dessous les Mallette.

Laissez-moi vous raconter l’histoire de Méo Mallette…

Il était un ramasseur de scrap devant l’éternel. Un pêcheur de barbotte. Un mangeur de pétaque. Un étaleur de graisse de rôti. Un fouilleur de poubelles aux quatre coins cardinaux de Lachute. Un homme de peu de mots! Méo mesurait 4’11 et pesait 75 livres, un genre de nerveux comme il s’en fait pu! Il habitait en permanence enfermé dans son silence. Si on mettait tous ses silences un à côté de l’autre, on pourrait faire le tour de la terre comme dans le livre de ce bon vieux Jules Verne.

Ce que Méo aimait par-dessus tout c’était d’amener son garçon le plus petit, Wilfrid, pêcher avec lui. Le p’tit St-Jean-Baptiste comme son père l’appelait car il était blond et bouclé. Du haut de ses 4 ans, pêcher pour sa famille était normal et facile. La rivière du Nord n’avait pas de secret pour Wilfrid. Il pouvait prendre avec la régularité d’un métronome assez de poisson pour nourrir toute la famille de 11! De la barbotte huileuse, au crapet-soleil plein d’arêtes, à la carpe suceuse, à la barbu du fond de « swamp », au brochet aux mille et une dents, à l’esturgeon vidangeur de rivière et à la perchaude sans fin.

Père et fils pouvaient rester des heures en dessous du pont de la track, regarder l’horizon et le bout de leur ligne. Ils revenaient à la maison quand ils avaient pêché suffisamment de poisson. Parfois ils revenaient de bonne heure et d’autres fois à la tombée de la nuit. Ils étaient patients comme ces maîtres bouddhistes sans le savoir.

Le jeudi, c’était le temps des poubelles partout dans la ville. Méo partait avec son plus grand à la tombée du soleil, en « bécycle » avec des trailers de fortune accrochés en arrière d’eux! Il ramassait les restants des autres à la mitaine. Ils pouvaient ramasser jusqu’aux petites heures du matin et revenaient parfois avec des trésors amochés.

J’ai oublié de vous dire que Méo était « straight edge » avant qu’on invente le mot. Il ne fumait pas, ne buvait pas, ce qui était très rare à l’époque. Avec ses enfants il était plutôt sévère sauf à la pêche et en ramassant les poubelles. Il était le seul pilier de la famille car sa femme Angèle était alcoolique du premier au dernier degré…

Il n’était pas rare que les petits Mallette aillent à l’école avec des pétaques crues dans leur sac à lunch et parfois rien du tout pour remplir leur petit ventre le midi. Les Mallette c’est du simple monde. Ils n’ont jamais volé personne, jamais. Ce n’est pas du mauvais monde. C’est juste qu’ils sont nés pour un petit pain!

Par un dimanche après-midi comme plusieurs dimanches après-midi, la famille Mallette étaient dans la grosse chaloupe tous ensemble. Il y avait père, mère, Wilfrid (4 ans), Madeleine (5 ans), Armand (11 ans), Lévi (12 ans), Denise (8 ans), Marie-Rose (6 mois), Monique (2 ans), Réjeanne (7 ans) et la belle Constance (14 ans). Personne à part Wilfrid et Méo aimaient être là. C’était le calvaire hebdomadaire des Mallette.

La rivière du Nord en ce début de printemps était particulièrement agitée. Le temps était à la tempête mais le bonhomme Mallette était plutôt du genre tête dure. Le dimanche, c’était la pêche en famille coûte que coûte. La chaloupe était à la hauteur du petit pont, presque arrivée sur la rue principale, ce pont à l’époque était vert! Angèle était inquiète avec la petite Marie-Rose dans les bras. Constance aussi avec Monique dans ses bras. Le ciel de la petite ville de Lachute est devenu noir! La famille Mallette se faisait brasser d’un bord pis de l’autre dans la chaloupe. Ils vivaient là un moment charnière dans leurs propres histoires, dans l’histoire de la rivière du Nord aussi. À ce moment précis, ce fut une fin du monde en soi… L’éclatement d’une famille!

Le petit Wilfrid était debout dans la chaloupe et s’amusait à jouer à faire le clown. La chaloupe arrêta d’un coup sec et Wilfrid tomba dans les bras de la rivière du Nord. Wilfrid criait à mort pendant que les eaux l’emportait loin des Mallette. Le cri de Wilfrid résonne encore aujourd’hui en 2017 aux abords de cette maudite rivière…

Soudain il a arrêté de crier et son père le géant Méo sauta dans l’eau froide du printemps. Il nageait comme une roche. Il a coulé aussi comme Wilfrid. C’était, dans la chaloupe, le plus grand silence que l’humanité n’aura jamais connu! Méo et Wilfrid s’en allaient au gré des vagues et du courant. Ils avaient à eux d’eux, tout le temps de l’infini pour se rendre nulle part.

Ma propre mère Madeleine (elle avait 5 ans à l’époque) en parle encore aujourd’hui avec émotion. Un chagrin qui vous reste pris dans la gorge ad vitam aeternam. Le 13 avril 1958 fut la fin de la famille Mallette tout simplement! Le ciel était gris et à regarder dans le fond des yeux de ma mère, j’ai l’impression qu’il n’a jamais changé de couleur depuis! Elle traîne dans son bagage Méo et Wilfrid.

Pour la suite des choses…

Six mois après la mort de Méo et Wilfrid, Angèle était en cour car son nouveau chum et mari, oui, oui, battait les enfants ce que Méo n’avait jamais fait.

Vrai comme je suis en train d’écrire ce maudit texte, le juge demande devant la cour à Angèle:

– Madame, vos enfants ou votre nouveau mari?

– (Angèle) : Mon nouveau mari (sans aucun sanglot dans la voix). Mon beau Émile!

Si la mort de Méo et Wilfrid fut la fin de la famille Mallette, Angèle l’a achevé à coup de bières, à coup d’égoïsme et à coup d’Émile.

À des fins historiques…

Tous les enfants sans exception furent placés comme on dit. Séparés à jamais, chacun dans leurs douleurs! Aucun placé à la même place, le même jour.

Angèle est morte en 1998, seule, sans famille et folle.

Et le 17 avril 1958 dans les eaux troubles de la rivière des Outaouais on a retrouvé le corps gonflé de Wilfrid. Et au bout de sa petite main gauche, il y avait Méo qui lui tenait la main.

Qu’il soit écrit ici que de la rivière du Nord à la rivière des Outaouais, Wilfrid n’était pas seul. Au-delà de la mort, il y avait papa Méo!



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