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La recluse

Publié le 30 juin 2008 par Sophielucide

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Crédit photo : Laura Chifiriuc/FlickR

1. On m’avait fait venir dans ce bureau capitonné, on m’avait assise sur un fauteuil confortable. Elle avait alors fait son entrée, à petits pas sur ses talons hauts. Une réelle sérénité se lisait sur son beau visage et j’ai senti l’adrénaline monter. Mais j’essayais de rester calme. Je devais me faire une alliée de cette psychiatre qui ne faisait que répéter qu’elle était là pour m’aider. Qu’en somme on pouvait soigner l’amour comme n’importe quelle autre maladie et j’étais tentée de la croire. Ça me plaisait plutôt cette analogie à la maladie, alors je me suis redressée sur mon siège et je l’ai observée plus attentivement.
Son maquillage léger, son teint clair, son petit chignon savamment négligé, ses lunettes dorées qu’elle chaussait pour faire semblant de lire mon dossier aussi vide que mon âme, tout cela me donnait la nausée mais je ne montrais rien. J’avais été enfermée à la demande d’un tiers dont j’ai mis trois mois à deviner l’identité. Je devais être à l’époque sous l’emprise de leurs médocs. Evidemment, qui d’autre à part mon gentil mari m’avait conduite ici?

Mon regard bifurquait régulièrement vers la fenêtre grillagée qui donnait sur le parc. Tout semblait si calme; c’est là que je me rendis compte qu’on était en automne, les arbres majestueux brillaient de mille feux.
“Vous souriez, Sophie, c’est bien. Je crois en vous, vous savez; vous allez vous en sortir…Le traitement se déroule bien, comment vous sentez-vous?
- Ca va.”
Pauvre folle, depuis que j’ai compris le but de mon séjour dans cet asile d’aliénés, je n’ai pas avalé un seul de leurs cachets. Je les dissimule avec dextérité, du bout de ma langue dans ma dent creuse, puis dès qu’ils ont vérifié que j’ai bien avalé, à l’aide de ma seule arme, un petit cure-dent, je l’extirpe soigneusement. Je me refuse à l’idée de soigner mon amour par des médicaments.
J’ai pêché alors on m’a enfermé. Vous n’y croyez pas? Moi non plus, je m’interroge, ce n’est quand même pas parce qu’un jour de profonde déprime j’ai bu plus que de raison que je suis arrivée là ? Délirium Trémens. Bon ok, j’étais pas belle à voir, paraît-il, ça je veux bien le croire, mais pourquoi suis-je ici?

Je suis plutôt bien finalement, seule dans ma cellule. On ne m’embête pas, un seul regard suffit à éloigner les importuns. On a toujours eu peur de moi, j’en ai souffert dans ma jeunesse et puis j’ai compris. Deux choses: d’abord, qu’ils avaient bien raison d’avoir peur, ensuite que c’était le gage de ma respectabilité et de ma tranquillité. Je vis dans une jungle, au moins en suis-je consciente; et ce serait moi la cinglée? Laissez-moi rigoler….

L’ homme qui m’a fait connaître l’amour n’avait pas peur de moi et il en est mort. Je n’y suis pour rien; on m’a fait comprendre qu’il fallait que je cesse de l’aimer puisqu’il n’existait plus. C’est quoi encore cette connerie? Mon amour n’est pas mort avec lui, que dois-je en faire alors? Bien sûr personne n’a répondu. Leur seule et unique réponse réside en ces cachets multicolores. Ils ne savent pas que ma souffrance vaut toute leur médecine? Je m’en nourris de jour comme de nuit, elle m’accompagne, et me guérit. Et mon unique trésor je devrais le partager avec ces charlatans? Qu’ils crèvent tous! Mon amour n’est pas mort!

“Reprenons, Sophie, si vous le voulez bien. J’aimerais que nous travaillions ensemble sur cette haine qui vous habite. J’ai de bonnes raisons de penser qu’avec votre aide, nous pourrions aisément transformer cette formidable énergie. Vous avez refusé l’atelier de dessin, vous pouvez me dire pourquoi? La création constitue un bon moyen de vous détacher de vos émotions si vives. Vous n’aimez pas dessiner?
- Non
- S’il vous plait, si vous n’y mettez pas du vôtre, nous ne progresserons pas…Essayez de me dire pourquoi?
- Pourquoi? Les couleurs m’ennuient, les feuilles sont trop petites…ça vous va?
- C’est très intéressant ce que vous dites là, Sophie. Les feuilles sont trop petites, vous pouvez développer?
- Non, j’en ai assez dit, débrouillez-vous avec ça pour aujourd’hui, qu’on me ramène dans ma cellule, je suis abrutie par vos cachets.”
Et voilà, le tour est joué! Je suis devenue une manipulatrice hors pair en inventant à chaque séance des détails suffisamment croustillants pour les faire réfléchir pendant au moins mille ans. Ils se contentent de peu et je les use un par un. Cette fois-ci, ils ont du se dire qu’une femme aurait plus de chance alors je fais un petit effort pour justifier son salaire.

Il fait nuit. Je suis à l’abri, alors j’écris. Dans ma tête. Je commence par me souvenirs des écrits précédents. Cela fait travailler ma mémoire. Je suis à la page 100; je raconte l’histoire des trois derniers jours passés avec mon père. Je m’applique, j’écris de mieux en mieux, je le sais. Mais personne n’aura accès à mon secret. Qu’ils aillent au diable, tous.
Ils voulaient lire, contrôler mon travail, j’ai failli éborgner l’infirmier avec la plume de mon Mont Blanc. Cela me fait encore sourire….

Je n’ai plus de visite. Même mon gentil mari ne vient que rarement, je lis sur son beau visage triste l’ennui et l’impuissance. Il m’apporte mes cigarettes, c’est déjà ça. Ils ne m’ont pas refusé cette faiblesse-la, allez savoir pourquoi. Ils me laissent fumer en toute liberté mes deux paquets. Peut-être attendent-ils qu’un cancer prenne le relai de leur incompétence. Je me souviens alors d’avant, chaque fois que j’allume une cigarette. C’est sûrement pour ça que je fume autant….


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