[DEUX FOIS L'AN, PENDANT L'ÉTÉ]
eux fois l'an, pendant l'été, ces mêmes montagnes sont traversées par le passage des transhumances sur la pierraille dure des drailles.
Il faut imaginer cela intensément dans ce paysage sans rivière,
un flot qui s'écoule et circule dans la poussière, les bêlements - flot de sang blanc irriguant cet organisme de pierres sèches et de sel, de terres déclives où même la lumière penche.
Quelque chose d'immatériel et de puissamment vivant passe par un cœur fossile.
Les bergers suivent de loin. On les entend. On ne peut pas vraiment dire qu'ils gardent.
Ils accompagnent le mouvement, regardent plutôt qu'ils n'interviennent.
Postés sur la pente raide ou marchant dans l'ombre de chaque côté de la vallée, ils s'appellent mutuellement par leurs prénoms, ils crient, s'interpellent comme pour se garder vivants ou bien seulement éveillés.
Ce paysage, ces montagnes, ce qu'elles offrent, c'est un peu à chaque fois comme si un berger ouvrait les yeux. La vie vue à travers le regard de l'un d'eux. Il suffit qu'il les referme pour que tout s'efface ou se retire - retour à Paris.
Et à quoi peut bien servir alors d'être berger ou de voir comme eux ?
Peut-être à cela, à rester fidèle à cette image aujourd'hui qui perdure, grossie par la mémoire : entre la pente et la lune énorme, à l'heure du soir, cette silhouette fermant la marche, d'une adolescente, blonde, d'un blond solaire, qui allait en dansant dans la clarté et poussait d'une pique les brebis retardataires.
Je l'ai aimée à seize ans. C'est elle, toutes ces années, qui m'a guidé vers toi à travers ce désert.
Jean Marc Sourdillon, En vue de naître, L'Arrière-Pays, 2017, pp. 24-25.