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Laure Gauthier | Marche 1 [kaspar de pierre]

Publié le 10 octobre 2017 par Angèle Paoli

MARCHE I J même des pierres ignorais le nom
Laure Gauthier  |  Marche 1  [kaspar de pierre]
Kaspar Hauser,
dessin de Johann Georg Laminit (1775-1848)

(extrait)
l attrapp des images au vol, comme ils étouffent les papillons,
et tiens ma tristesse en bandoulière,

ai tout vu là, pour la première fois.

Que de feuilles il y avait, soudain

et tous ces vents qui bruissèrent alors dans mes silences

moi qui n'ai vu que murs et porte

sans savoir que les uns retiennent et l'autre ouvre

sans l'éprouver

L'humidité m'a reconnu facilement,

l'agonie du réveil, l'impossible souvenir du gouffre premier,

le premier cri

du matin,

l'absence de caresses,

vagues de manque,

tête brumisée d'absences

d'où aurais appris que la souffrance se jette vers,

que la douleur a une direction

Aucun animal de ma taille ne passe l'horizon et n'en déduis rien, jamais.

Et la caresse de mes rubans qui hachurait la journée ?

traits de biais, ont strié la poussière de la cache

Alors que les questions n'étaient que des trous blancs Encore mouillé de murmures, sans qu'il n'ait fallu se lever,
Qu'ils n'ont cessé de remplir
Mon silence
avait recouvert tous les bruissements de feuilles, tous les pas,
aucune étreinte
les pierres, même elles, se sont retournées à moi, et n'auront plus
jamais la force d'accueillir un enfant,
c'est intenable, pensaient-elles.
Et ignore forcément tout du mausolée de vers qu'on m'a dressé
toujours à nouveau, et
L'on s'agenouillera éloquent et mélancolique devant les taches
dans mes phrases à venir,
Muré=sans expérience= cœur pur= verbe premier= poésie !

ai construit avec mes tuteurs mes premiers souvenirs, ai fait
album, fabriqué à mon corps défendant une chrchronologie

Tout me laisse à présent, Laure Gauthier, " Sans fracas s'envole la maison des silences
Loin des pierres qui me regardent
Et vacille à la vie
Et tous ces yeux en la ville qui m'attend
Et l'écume de ses pourquoi
MARCHE I " in kaspar de pierre, éditions de La Lettre volée, Collection Poiesis, 2017, pp. 16-17-18-19.
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NOTE : kaspar de pierre est le 52e volume de la collection Poiesis éditée en partenariat avec la revue La rivière échappée (fondée en 1989 par François Rannou) et soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cet ouvrage sera disponible en librairie le 22 novembre 2017.
NOTE DE L'AUTEURE : " L'histoire de l'enfant trouvé Kaspar Hauser est devenue un mythe moderne et appelle des réécritures. Dans kaspar de pierre, kaspar parle de lui-même en "jl" dans une tonalité inventée entre le moi et le soi ; il parle à tous les temps ; il n'arrive pas à Nuremberg, mais on le trouve en marche vers cette ville, imaginant l'arrivée dans différentes maisons de tuteurs (maison 1, maison 2, maison 3), on l'entend avant chaque nouvelle déchirure (abandon 1, abandon 2), et on lit des diagnostics que la société pourrait faire de lui (diagnostic 1, diagnostic 2) - kaspar bipolaire ? L'enfant trouvé jette un regard rétrospectif vers sa grotte première tout en anticipant son idéalisation poétique ; il refuse d'être le "séquestré au cœur pur" (Françoise Dolto) ou encore le "pauvre Gaspard" (Verlaine) : il est un enfant maltraité, un enfant-placard au langage sauvage et impuissant qui échappe aux catégories et à la curiosité comme aux abandons successifs. Il est à la fois un cas de maltraitance que l'on ne peut mettre en vers et comme un des premiers cas de faits divers ayant attiré la curiosité de l'Europe bourgeoise. "

Laure Gauthier  |  Marche 1  [kaspar de pierre]


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