Elle boit une O’Keefe avec du jus de tomate dedans. Elle écoute CJLA beau temps, mauvais temps! Ses armoires sont remplies de manger de marque sans nom même que ses dix mille chats mangent du manger à chat sans nom. Denise repasse des chemises pendant que le gros Yves parle au CB dans le salon. Pout pout chow.
La caisse de 24 d’Homère Ladouceur est presque vide. Il est 16h34 dans le p’tit Canada. Il n’est pas dit qu’il ne retournera pas au dépanneur Guibeault avant la tombée du soleil. Les enfants du quartier jouent aux quatre coins de la rue Filion. Je peux apercevoir la nostalgie entre les lignes de ce texte. Il y a mon petit voisin du boutte de la rue qui se fait battre par le chum de sa mère. La grande Francine va sûrement se faire fourrer pour une grosse bière avant la fin de soirée dans les toilettes du Laurentien! Vous pouvez la juger mais cette femme de grand chemin n’a jamais volé personne. Elle a appris à survivre avec son cul! Au final de sa vie, elle aura crossé la moitié des homnes dans le comté d’Argenteuil.
Mon frère lui s’amuse à faire des « Willy » sur son bécycle au siège banane. De la rue Bethany, à la rue Sydney, au boulevard Bédard en passant par la rue Argenteuil… le temps est à la fête. C’est l’expo agricole de Lachute cette semaine. C’est presque le temps de faire des tours de « zipper » jusqu’à en vomir de joie.
Pis comble de bonheur, dimanche à la fin de l’expo, il y aura le derby de démolition comme si tout ce qui se termine dans nos quartiers de pauvres se termine toujours par un derby ou une démolition. Le métal qui s’entrechoque comme nos espoirs de jours meilleurs, finissent par s’éteindre comme le moteur de cette vielle Pinto rouillée pendant le derby.
Les danseuses du Trois Puces se mettent beaucoup plus de parfum cette semaine-là, même les vieilles danseuses fatiguées du bar Le Chatham. Un gros tournoi de fer va se jouer dans la semaine et mon père va finir par boire le chèque d’allocation qui aurait servi à remplir notre frigidaire. Nous sommes en 1987… le magasin Rossy est encore à deux étages sur la rue Principale. J’ai 14 ans et une moustache molle. Je suis un enfant du bloc 36. Le ciel est toujours gris. Je n’ai aucune ambition et je croyais que c’était réservé aux autres. Je suis laid et stupide, que je crois. Pendant ce temps là… Serge se bat encore avec Roland. Il y a du sang un peu partout, des hommes qui pleurent et des problèmes de réglés. Ce n’est que le début du mois et déjà certains n’ont plus une cenne. Les enfants dans mon coin c’est faite pour jouer dehors. Les mères sont occupées à rouler leurs cigarettes.
Ce soir là, je vais à l’expo avec mon meilleur ami « Shoeless » Jean-Paul. J’ai mis mes plus belles vieilles jeans, mon chandail Vuarnet rouge sans le petit logo qui prouve à la terre entière que vous portez un vrai Vuarnet. Ici, faut se fier à l’honnêteté de celui qui porte le dit Vuarnet sans petit logo pour vous dire s’il est vrai ou non. J’ai dans les pieds mes beaux Converse noirs. Je me trouve moins laid avec mes Converse dans les pieds.
Lachute, c’est une journée d’automne! Parfois y mouille mais les fois qu’y fait beau, c’est beau en crisse!
Nous sommes dans la tente Molson à prendre une bière de trop! Shoeless lui fume le calumet de paix mais pas moi. La soirée s’annonce fulgurante. Je suis prêt pour le chaos que je me dis. À l’époque, je n’avais pas encore fait de crises de panique ni d’agoraphobie… j’étais invincible, que je croyais.
Shoeless était comme ces trous sans fond. Un sable mouvant à l’infini. En termes clairs, un Indien ça boé en crisse!!! Au nom de Geronimo et de toutes les générations qui s’en suivent, au nom du dieu Soleil, au nom de la bagosse, ce soir là *on déterre la hache de guerre dans la nuit du pardon. Nous sommes arrivés vers 21h à la foire… à l’heure d’Ayersville! Le ciel était tombé sur Lachute. La nuit s’était installée pour laisser les manèges briller de tous leurs feux. C’était la lune des loups ce soir-là, les catchdreamers de Shoeless faisaient de l’insomnie.
Nous avions un plan de »nèg » comme on disait dans ces années-là. Un vrai de vrai! En 1984, la soeur de Shoeless s’était fait violée pendant un festival à Pembroke par trois anglais qui selon la rumeur étaient sortis du »pen » de Kingston et seraient à l’expo de Lachute! Les gars de Pembroke n’étaient pas trois mais quatre, le compte n’est pas bon, mais comme je n’ai jamais été un maître dans l’arithmétique… C’est évident que le texte que je suis en train d’écrire va mal finir à moins d’un désir profond de ma part de vouloir réécrire l’histoire de ma propre vie!
Un Iroquois de Schefferville dans le vrai Nord de 6 pieds et 125 lbs avec un futur Barbu de ville qui est pour cet instant une moustache molle de ville qui mesure 5’1 et pèse à peu près 100 lb ben trempe. Un duo de choc contre quatre gros morceaux de cochon de Pembroke (expression que je vole à mon ami Dany de St-Félicien). Faites vos jeux, on prend les paris jusqu’à la fermeture des guichets.
L’idée? Les pogner un à la fois dans les toilettes sur le bord des granges. J’accompagne l’idée d’un poing américain et Shoeless de deux poings iroquoien. Pourtant la soirée avait bien commencé pour nous. Les quatre Anglais de Pembroke étaient sur place et buvaient déjà comme des trous. Avant 23h, heure d’Ayersville, ils seront chauds comme des Polonais. Le temps que nos sbires soient bien chauds, nous avions décidé d’aller faire quelques manèges, nous étions quand même encore des enfants! J’ai gagné un gros toutou que nous avons donné au hasard à un petit enfant. Pendant que je faisais le manège de la barbe à papa et de la patate frite au vinaigre, Shoeless lui avait un plaisir fou à me voir pas faire de manège par peur des hauteurs.
Il est maitenant presque minuit et sur le bord de la grange, aux abords des toilettes, il fait noir comme dans le cul d’un ours. Temps parfait pour aller battre des gros morceaux de cochons de Pembroke. Pour l’un des quatre gars, le carrosse va bientôt se transformer en pumpkin. J’enfile mon poing américain de fortune, Shoeless se prépare à interdire l’accès aux toilettes à n’importe qui qui se présentera. Il prétextera qu’un gars a chié partout et que la sécurité nettoie!!! Un gars saoûl à l’expo qui chie partout, c’est possible dans le monde dans lequel je vis!!!!
Le gars de Pembroke laisse son verre sur le bord de l’urinoir et baisse ses culottes et commence à pisser, je suis nerveux, très nerveux. Je crois même que c’est là que j’ai fais la première crise de panique de ma vie! J’avance à pas de souris et tout à coup, je m’élance de toutes mes forces de gars à la moustache molle. Un coup de coup de poing américain sur la tempe en »sucker punch » ça laisse aucune chance, aucune. Le dit gars saoûl tombe la face dans l’urinoir et s’écrase par la suite sur le plancher de bois. Un ex-détenu de Kingston rempli de tatoos de la tête au pied vient de rencontrer son homme et il a 14 ans à peine. Il gît dans son sang.
Shoeless vient me chercher en courant et donne un coup de pied sur la tête du gars à terre en citant le nom de sa soeur, 1-0 le duo de choc!Pour fin historique, le dit gars chaud aurait subi sur le coup une fracture du crâne et il aurait eu le nez cassé aussi. La légende dit que le violeur s’est recyclé en vendeur de crayons aux abords de centres d’achat en Ontario!
Comme la bière que Shoeless me donna, la nuit est entamée! Le deuxième gars, on l’a pogné en arrière de la tente Molson, il avait décidé d’aller pisser là! Le problème est le suivant, Shoeless n’étais pas capable d’arrêter de frapper le dit gars saoûl! Le gars saoûl saignait comme un cochon et criait comme une fillette. Dans la tente Molson, le monde dansait au son de »Folsom Prison Blues » de Johnny Cash. Dans le noir, j’ai pas aperçu le poing fermé d’un des sbires et je l’ai mangé direct sur le menton, à ce moment précis j’ai fais ma deuxième commotion cérébrale à vie, une solide. Pu de son, pu de lumière, fin des émissions.
Je me suis réveillé je sais pas quand avec la bouche remplie de sang et un Indien par-dessus moi! Deux gars de Kingston restant me frappait dessus à coup de pied, Shoeless était par-dessus moi et protégeait ma tête au détriment de la sienne. J’ai pissé dans mes culottes, j’ai bien pensé mourir! J’ai pas dormi ce soir là, par peur de m’endormir. J’ai vomi mais pas de boisson. Je suis resté enfermé dans ma petite personne et dans la maison pendant un an par la suite, crises de panique à répétition et j’ai développé de l’agoraphobie! Un an sans sentir le vent d’automne sur sa peau, le chaud soleil de l’été…
Mon chum Shoeless qui allait se suicider quelques années plus tard à l’aube de ses 17 ans et moi qui n’avais qu’un crayon de plomb et des feuilles blanches.
Ce soir-là de foire, j’ai décidé d’aider un ami à se venger. Ce soir-là, Shoeless m’a sauvé littéralement la vie car si lui ne mangeait pas ces coups que j’aurais reçu sur ma tête, inconscient, je ne serais pas dans ce texte pour vous le raconter. Malgré la mort de Shoeless, je peux dire ici devant la vie, devant lecteurs et lectrices que tu habites chaque lettre du mot AMI.
À la mémoire de »Shoeless » Jean-Paul, le plus cowboy des Indiens que j’ai connu.
*citaiton Denis Vanier