Histoire et Légendes en Limousin : Roger de Laron. ( Saint-Julien-le-Petit ) - 5/.-

Publié le 16 octobre 2017 par Perceval
Voici un autre récit qui concerne directement le seigneur de Laron... Ce texte provient d'un document recopié et qui se réclame d'un codex ayant appartenu à un frère dominicain, compagnon du limousin et inquisiteur Bernard Gui. Celui-ci devait être chargé d'écrire les témoignages récoltés, dans les campagnes limousines... Je le cite :« Ce noble, dont le comportement lui vaut de nombreux ennemis, a l'habitude de voyager de nuit pour échapper aux embuscades. Une nuit, il traverse une forêt proche de la Maulde avec son écuyer et, avant d'en sortir pour déboucher dans un champ à la lisière du bois, il envoie son écuyer voir si personne ne leur tend de piège. La lune brille et permet de bien distinguer les alentours. L'écuyer s’avance donc et aperçoit une grande armée de cavaliers approcher. Il en avertit son maître qui décide d'attendre afin de voir s'il s'agit d'amis ou d'ennemis. La troupe passe, il sort du bois et rencontre un chevalier sur un destrier, qui tient un autre cheval par la bride. Il lui demande s'il est bien son ami mort depuis peu, et l'autre acquiesce. « Qui sont ceux qui te précédaient? » demande-t-il alors. Le défunt répondit : « Ce sont des nobles et des chevaliers, celui-ci et celui-là, et il en nomma beaucoup, qui, comme moi,.vont cette nuit à Jérusalem puisque telle est notre Pénitence. » 

Le vivant demande à quoi sert ce cheval qu'il mène :

Il est pour vous, si vous voulez venir en Terre Sainte avec moi », et il ajoute qu'il peut monter le destrier en toute tranquillité car il sera reconduit vivant pour peu qu'il suive ses avertissements.

Le chevalier accepte malgré les objurgations de son écuyer, et disparaît aux yeux.de celui-ci. Le lendemain, l'écuyer vient attendre son maître là où il a disparu et le retrouve sain et sauf. Le mort a donné à son ami une serviette de salamandre et un couteau dans un fourreau afin qu'il ne s'imagine pas que tout cela ne fut qu'illusion. »

On commence à comprendre pourquoi, des récits anciens dans cette région évoque de nombreuses histoires avec un ''Roger le Diable''...

En effet, j'ai réuni diverses légendes locales qui semblaient sans lien avec notre personnage, et pourtant finissent par dessiner une biographie légendaire de Roger, seigneur de Laron, ancien templier ; dont la trace historique fut effacée par ses descendants ; au point de changer le nom du château ( certains préféreront parler du château de Rochain ou Rochein ) ; et d'abandonner le patronyme ''Laron'' …

 Cette histoire de '' troupe de cavaliers fantôme'' est en ce XIVème siècle, prise très au sérieux.Cela évoque les chasses fantastiques d' Hellequin et de sa mesnie ( maisonnée, famille …).En Limousin, on parle de ''Chasso galero''. Roger de Laron, connaît bien ces ''chasses'', comme tous ceux de son époque : lettrés ou simplement auditeur aux veillées, il connaît bien ce que l'on raconte sur cette troupe de démons conduite par Hellequin... Fauvel, Gautier Map (De nugis curialum) en particulier, en portent témoignage …

A l'origine d'Hellequin, on trouve Herla, le "roi très ancien des Bretons". Le roi du peuple des morts s'invite aux noces de Herla et lui propose en retour de se rendre aux siennes l'année suivante. Aux termes du pacte ainsi conclu, Herla et ses guerriers rejoignent le monde des ténèbres un an plus tard. Cette troupe pourra revenir parmi les vivants, mais à condition de ne jamais descendre de cheval. Elle est ainsi condamnée à une errance éternelle. Simple armée de fantômes dans un premier temps, les légendes feront plus de cette mesnie d'Herla une troupe de chasseurs maudits. Ce thème devient ainsi une déclinaison du cycle des chasses  fantastiques que l'on rencontre un peu partout dans nos régions...

 

Appliqué à la légende d'Hellequin, sa 'mesnie' désigne la troupe d'esprits fantastiques qu'il commande : des démons, ou plutôt des incarnations de défunts, montés sur des chevaux rapides, accompagnés de chiens hurlants, qui chevauchent à travers les airs pendant les nuits d'orage en punition de leur péchés.

Voilà ce qu'écrit Orderic Vital, moine historien des XIe et XIIe siècles :
"Certain jour en en l'an de grâce mil nonante et unième, Gauchelin de Normandie, prêtre pieux et dévot, vit fantassins et cavaliers défiler par la route. Grande armée c'était, multitude innombrable et moisit en désordre, portant accoutrements noirs et pennons barrés de sable. Y avait croque-morts ayant chargé cercueils sur leurs épaules. Y avait des Ethiopiens. Y avait des nains hauts de sept empans, le chef gros comme muid ou barricel. Y avait routiers et malandrins. Y avait moines et clercs, voire juges et abbés et évêques. Y avait chevaliers en bel arroi, y avait dames chevauchant haquenées. Et soufflait un vent fort et roide, lequel vent soufflant ès-cottes, robes et manteaux, de leurs sièges arrachait les nobles dames, les soulevait la hauteur d'une franche coudée, puis cheoir les laissait en leur selle, laquelle hérissaient de longs cirais au feu rougis. Et voyant icelle foule passer, Gauchelin le prêtre s'émerveilla fort et s'écria – Haï ! ce sont les gens à Herlequin!"
Seulement à l'époque christianisée de Roger de Laron, l'expression de Mesnie Hellequin, ou de Chasso Galero a pris la signification de famille diabolique. Ainsi, c'est le Diable, qui conduit l'assemblée de cavaliers rencontrée par le seigneur... !A partir de ce moment, Roger de Laron, va petit à petit se soustraire des yeux de la compagnie de hommes de son temps... Et pourtant, Roger de Laron, va trouver une épouse ; c'est une histoire assez incroyable, et représentative des croyances de cette époque …