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Adeline Baldacchino, 13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver) par Angèle Paoli

Publié le 21 octobre 2017 par Angèle Paoli


Adeline Baldacchino, 13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)   par Angèle Paoli
Gérard Titus-Carmel, Tournant de l'hiver
lithographie, 76cm x 57cm

DES REVERS DE L'ÂME À LA " TOUPIE DE VERRE "

I ls sont treize en effet. Le titre l'indique : 13 poèmes composés le matin. Oui, ce nombre intrigue. Un écho au poème " Artémis " de Gérard de Nerval, attesté dans de si nombreuses anthologies de la poésie française ? 1

" La Treizième revient. C'est encor la première ;

Et c'est toujours la Seule. "

Adeline Baldacchino ajoute en sous-titre (entre parenthèses, et ce n'est pas anodin) " pour traverser l'hiver " (un hexasyllabe, tout comme " dans mon jardin d'hiver "). L'hiver 2016-2017. Mais aussi et surtout tous les hivers de l'âme, leurs brumes sans répit, leurs grands froids. Leurs solitudes. Des poèmes viatiques, pour affronter vaille que vaille les tourments de la saison, qui s'immiscent entre les pores et s'éternisent sous la peau. Tout cela se prolonge jusque dans le choix de l'illustration qui figure en première de couverture du recueil. Tournant de l'hiver. De Gérard Titus-Carmel. Une lithographie dans laquelle la poète lit comme un écho à sa réflexion et à son entreprise poétique :

" [...] J'y voyais des carcasses d'âme suspendues aux filets rouges du soleil ; j'y voyais de la lumière brisant les os pour forcer le noir à s'écarter ; j'y voyais la barque et la coupe, le naufrage et le dégel, la chair et son ombre.

Une manière de rappel à l'ordre du vivant. "

Le recueil d'Adeline Baldacchino se présente comme un journal. Un journal incomplet, qui commence le 9 janvier et prend fin (ou presque) le premier mars. Entre ces deux dates, des ellipses temporelles (dont celles de février) qui ouvrent des trous dans l'hiver 2016-2017. Il faut ajouter à ces poèmes un poème non daté (Treizième poème) et quelques écarts. Ici ou là. Ainsi du onzième poème qui ne présente ni date ni nom de dédicataire mais seulement le titre énigmatique : " Pour laisser aller ". Quant au poème du premier mars (le 12e), écrit à Nice, il est celui de la date anniversaire d'Adeline Baldacchino. 35 ans.

Mars ? Une planète belliqueuse, dit-on. Ce trait de caractère n'apparaît pourtant pas dans ce recueil poétique édité par les éditions Rhubarbe. L'âme qui s'y déplace et qui s'y dévoile est une âme meurtrie qui cherche peut-être " au bord du gouffre qui nous aspire " des mots pour réchauffer la vie. C'est ainsi que, dans le poème liminaire construit sur la répétition anaphorique " il y a ", la poète aborde la question de savoir si la poésie peut quelque chose pour celui qui souffre qui doute et qui n'a d'autres ressources que de s'ouvrir à la page blanche pour tenter d'y trouver quelque réconfort :

" Il y a les poèmes qu'on dérobe à l'aube pour tenir toute la journée. Ceux qu'on ramasse au fond des ruelles où s'envasaient nos cauchemars. Ceux qu'on dépoitraille pour leur aérer le cœur. Ceux qu'on tanne comme de vieilles peaux luisantes. Ceux qui s'érodent quand on les arrose. Ceux qui se froissent quand on les touche. Ceux qui se ressemblent et ne s'assemblent pas. Ceux qui font semblant de venir nous sauver, quand rien ne le peut.
Et nous le savons.
Et nous écrivons quand même. "

Les poèmes se suivent sur trois pages. Chacun d'eux comporte plusieurs strophes (les unes plus longues - 12 vers -, les autres plus brèves - 9 vers -) et se clôt parfois sur une strophe de quelques vers (2/3/ou 5). Lesquels se distinguent souvent par une chute :

" Ce matin que j'écris

Pour effacer mes propres traces. "

Tous s'inscrivent dans ce moment indécis de la journée où il faut se secouer de nuits inconfortables et affronter le jour. Tout se passe dans l'entre-deux d'un huis-clos, à la lisière des heures, du dedans et du dehors, fenêtre et voix, entre la chambre au lit défait et la cuisine avec radio et bol de café fumant entre les mains, jusqu'au corps dénudé qui cherche - comme tant d'autres sans doute - à " se dégivrer l'âme/À coups de rame et de butoir ". Tout est " trop petit " dans ces matins d'hiver (Quatrième poème, Douze janvier au matin). Rien ne peut satisfaire une âme assoiffée d'absolu. " Affamée de tendresse ".

La ponctuation, elle, est absente des poèmes (sauf pour le poème liminaire) ; excepté le point final qui ponctue chaque journée. On en perçoit la raison à la lecture et à l'oreille, car le poème - et chaque strophe du poème - déploie sa houle intérieure, roulis du jour et de la vie, tangage, d'une strophe à l'autre, par tout un jeu de répétitions (souvent anaphoriques mais pas uniquement) et de variations, opère le double mouvement de la vague, crescendo/decrescendo. Flux et reflux. Double rythme d'enroulement/déroulement de spirale qu'accentuent encore les enchâssements de relatives, desquelles émerge une excroissance sans cesse renouvelée :

" J'y vais aussi

Le cartable plein de livres

Pour s'ancrer dans la terre

Qui surnage dans la brume

Pleine de fils de fer et d'argent tordus

Qui s'enfoncent à vif dans la chair de l'âme

Il faut des livres pour contrer la mort

Des mots pour se désempaler

Se rassembler

Se ressembler

Recommencer " (Premier poème, seconde strophe)

D'autres caractéristiques accentuent encore ces effets d'enroulements. La proximité phonique des mots présents dans des vers très proches en fait partie : " tendresse "/" caresse " ; " se rassembler "/se ressembler " ; " se promenait "/" nous promettait " ; " hélices "/" élytres " ; " recouverte "/" à revers " ; " déverse "/" renversés " ; " attend "/" entend "...

Les comparaisons sont le noyau-embrayeur qui permet le passage d'un moment à un autre, d'un monde à un autre, d'une identité à l'autre. Ainsi de cette strophe (Quatrième poème, Douze janvier au matin...) où l'identification de la narratrice à un chat permet une expansion en même temps qu'une fusion implicite des identités et des univers :

" Je me lève dans la lumière qui tangue

M'étire comme un chat fatigué

Par les prémices de la chasse

De braises et de cendres

De cendres et d'étincelles

De mille flammèches

Ou encore :

Le goût d'amer l'impatience... "

D'être fidèle. "

Entre ces lignes qui saignent

Leur encre malhabile

Moins chaude que mon sang

Moins vive que mes songes

Comme un dernier baiser

Je rédige à l'emporte-pièce

Des phrases qui cognent

Contre le jour

Nue devant mon âme... "

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


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