Paratente

En redescendant avec mon paquet de lessive propre sous le bras j'ai vu que quelqu'un avait plantÄ‚Ĺ  sa tente directement sur le terrain adjacent au mien. Il y a des montagnes de mobilhomes et de campingcars dans tous les coins, mais la section « nature » est complètement vide . Bon, je me dis. Ils cherchent des amis.
Leur tente a une drôle d'apparence… Enfin… On dirait vraiment le bassin d'une femme aux jambes écartées. Le vestibule est une réplique parfaite de mont de vénus, traversé de haut en bas par une large fermeture éclair doublée d'un rebord plat qui donne accès à deux chambres en forme de cuisses écartées. Les grandes lèvres de la porte s'écartent de temps en temps et les occupants en jaillissent, à toutes fins pratiques nus comme des pêches dans l'herbe. La dame a la cinquantaine potelée et irrésolue, lunettes de star Italienne, décolorages, chirurgies, talons blancs dans le sable, bref, une optimiste. Quant au monsieur, il porte un micro-moule-couilles noir lustré et chante à tue-tête. Il a une fort belle voix, au timbre assuré et à la justesse impeccable. Il chante la Marcha Real, Das Lied der Deutschen, puis La Marseillaise et le Fratelli d'Italia. Que des hymnes nationaux. Ensuite il entame l'hymne Soviétique en lavant ses chaussettes, avant de s'engouffrer par la grande fente en entonnant l'Internationale. 
La dame reste dehors, ventre obstinément rentré, vaquant à ceci ou cela en boitillant sur ses échasses. Elle ramasse un machin, s'applique une crème, replace un piquet, me salue en souriant de toutes ses dents, puis se glisse dans l'ouverture en tortillant du panier et ça se referme. À l'intérieur, son mari vient de commencer le Ô Canada.
Enfer et damnation, c'en est fait de ma quiétude.© Éric McComber