Magazine Talents

# 258/313 - Les amours de la Roche Courbon

Publié le 28 octobre 2017 par Les Alluvions.com
Elle m'a prêté Temps glaciaires, puis Quand sort la recluse, signalé qu'elle avait elle aussi, sur un blog personnel où elle consigne lectures et films, par deux fois repéré ces bulles gazeuses qui fascinent tant Adamsberg. Elle, c'est Stéphanie, la mère de mes deux plus jeunes enfants, Gabriel et Violette, qui me glisse ce soir une bande dessinée qui ne pouvait me laisser indifférent : Les amours de la Roche Courbon, de Sophie Balland et Didier Quella-Guyot, paru aux éditions Geste en 2003.
# 258/313 - Les amours de la Roche CourbonMerci à elle : voici bien l'écho le plus formidable qui se pouvait donner après l'article d'hier. Le jeune homme en arrière-plan n'est autre que Julien Viaud, alias Pierre Loti, qui va découvrir à seize ans "le grand secret de la vie et de l'amour" avec une jeune gitane mystérieuse, si l'on en croit ses confidences dans Prime jeunesse (1919).
J'en extrais ici quelques détails suggestifs, et en tout premier lieu ce gros plan sur le regard de la Gitane qui m'évoque bien sûr les regards de Vertigo  et de Blade Runner.
# 258/313 - Les amours de la Roche CourbonCette apparition provoque un rêve dans la nuit qui suit :
"Sur la fin de cette même nuit, un rêve enchanta mon sommeil. Je me croyais au milieu de bois inextricables, dans l’obscurité, me frayant à grand peine un passage parmi des broussailles et des roseaux, et j’avais conscience que des êtres imprécis suivaient la même direction que moi à travers le fouillis des branches.
Ces compagnons de ma difficile route peu à peu s’indiquèrent comme des bohémiens en fuite et bientôt je la devinai elle-même, la belle Gitane, se débattant à mes côtés contre les lianes qui de plus en plus enlaçaient nos pieds. Quand enfin nous fûmes tombés ensemble dans les joncs enchevêtrés, je la pris dans mes bras et, à son contact intime, je me sentis faiblir tout à fait par une sorte de petite mort délicieuse…"
C'est déjà la thématique de la Belle au bois dormant qui se donne à voir, dans cette lutte en des bois inextricables. Et le rêve va s'accomplir :
"Et enfin, par une après-midi surchauffée d’août, avec une brusquerie stupéfiante, le dénouement inévitable survint, parmi des fouillis de branches et de roseaux pareils à ceux de mon rêve, dans le ravin ombreux des grottes, au milieu d’un essaim de très fines libellules qui semblaient aussi impondérables que des petites plumes et qui, pour la fête de notre hyménée sans doute, s’étaient somptueusement vêtues de pierreries et de gaze d’or, les unes en bleu, les autres en vert." [C'est moi qui souligne]
Je suis frappé aussi par cet essaim de libellules, dont l'impondérabilité rappelle le ravissement des lucioles ou le mouchetis de coccinelles de la Céleste de Temps glaciaires. Toujours les insectes - pas n'importe lesquels, les volants, les hyper-légers, les voltigeurs, les lumineux - accompagnent les épiphanies amoureuses ou spirituelles : "au-dessus de nos têtes, les fines petites libellules impondérables, assemblées sans frayeur, jetaient parmi les feuilles leurs étincellements de pierreries."
On les retrouve dans le dessin de Sophie Balland où se mêlent parfois les propres dessins de Pierre Loti, comme ceux au crayon des sous-bois de la planche 5.
# 258/313 - Les amours de la Roche Courbon
Et celui en couleur, glauque dans le meilleur sens du terme, qui n'est pas péjoratif à l'origine, des marais du Bouil bleu :
# 258/313 - Les amours de la Roche Courbon
Il est curieux qu'il parle d'une rivière sans nom, alors que le nom est bien connu, le Bruant, dont il rebaptisera Saint-Porchaire qu'il n'aimait pas. Mais c'est que le ravin y gagne encore en profondeur d'inconnu : vallée très en contrebas, enclose de rochers, plus enfouie sous l'amas des herbes folles : ce sont autant d'images de la recluse qui s'imposent ici.
# 258/313 - Les amours de la Roche Courbon La superbe photo de Loti devant la grotte date de l'été 1922 ou du printemps 1923. Si cette dernière date est la bonne, elle ne précède donc que de peu la mort de l'auteur (juin 1923). Après avoir couru le monde, en avoir goûté toutes les splendeurs, après avoir épuisé tous les vertiges de l'exotisme, il s'interroge encore sur les simples images de l'enfance, atteint d'une inguérissable nostalgie.  
# 258/313 - Les amours de la Roche Courbon

Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine