J'en extrais ici quelques détails suggestifs, et en tout premier lieu ce gros plan sur le regard de la Gitane qui m'évoque bien sûr les regards de Vertigo et de Blade Runner.
"Sur la fin de cette même nuit, un rêve enchanta mon sommeil. Je me croyais au milieu de bois inextricables, dans l’obscurité, me frayant à grand peine un passage parmi des broussailles et des roseaux, et j’avais conscience que des êtres imprécis suivaient la même direction que moi à travers le fouillis des branches.C'est déjà la thématique de la Belle au bois dormant qui se donne à voir, dans cette lutte en des bois inextricables. Et le rêve va s'accomplir :
Ces compagnons de ma difficile route peu à peu s’indiquèrent comme des bohémiens en fuite et bientôt je la devinai elle-même, la belle Gitane, se débattant à mes côtés contre les lianes qui de plus en plus enlaçaient nos pieds. Quand enfin nous fûmes tombés ensemble dans les joncs enchevêtrés, je la pris dans mes bras et, à son contact intime, je me sentis faiblir tout à fait par une sorte de petite mort délicieuse…"
"Et enfin, par une après-midi surchauffée d’août, avec une brusquerie stupéfiante, le dénouement inévitable survint, parmi des fouillis de branches et de roseaux pareils à ceux de mon rêve, dans le ravin ombreux des grottes, au milieu d’un essaim de très fines libellules qui semblaient aussi impondérables que des petites plumes et qui, pour la fête de notre hyménée sans doute, s’étaient somptueusement vêtues de pierreries et de gaze d’or, les unes en bleu, les autres en vert." [C'est moi qui souligne]Je suis frappé aussi par cet essaim de libellules, dont l'impondérabilité rappelle le ravissement des lucioles ou le mouchetis de coccinelles de la Céleste de Temps glaciaires. Toujours les insectes - pas n'importe lesquels, les volants, les hyper-légers, les voltigeurs, les lumineux - accompagnent les épiphanies amoureuses ou spirituelles : "au-dessus de nos têtes, les fines petites libellules impondérables, assemblées sans frayeur, jetaient parmi les feuilles leurs étincellements de pierreries."
On les retrouve dans le dessin de Sophie Balland où se mêlent parfois les propres dessins de Pierre Loti, comme ceux au crayon des sous-bois de la planche 5.
Et celui en couleur, glauque dans le meilleur sens du terme, qui n'est pas péjoratif à l'origine, des marais du Bouil bleu :
Il est curieux qu'il parle d'une rivière sans nom, alors que le nom est bien connu, le Bruant, dont il rebaptisera Saint-Porchaire qu'il n'aimait pas. Mais c'est que le ravin y gagne encore en profondeur d'inconnu : vallée très en contrebas, enclose de rochers, plus enfouie sous l'amas des herbes folles : ce sont autant d'images de la recluse qui s'imposent ici.