La Petite Couronne***

"Pauvre banlieue parisienne, paillasson devant la ville où chacun s'essuie les pieds, crache un bon coup, passe, qui pense à elle ?", écrivait Louis-Ferdinand Céline en 1944 ("Bezons à travers les âges").

Désormais, c'est tout le contraire, la banlieue est continuellement sous le feu des projecteurs ; elle est devenue le principal prétexte de l'agitation médiatique, sous couvert de débattre de "questions de société".

Comme dans le crime de "L'Orient-express", on peut dire que tous les partis politiques sans exception trempent ou ont trempé dans cette démagogie. La théorie du complot de l'islam radical, façon Eric Zemmour ou Caroline Fourest, doit presque tout à l'instrumentalisation précédente de la banlieue par la presse de gauche. Zemmour ne paraît "vrai" que dans la mesure où la propagande précédente consistait dans une présentation erronée de la réalité.

Si son existence est donc désormais reconnue, la banlieue demeure donc inconnue ou presque, au-delà du périphérique. C'est tout le mérite de Gilles Rochier de la montrer telle qu'elle est, dans "Petite Couronne", en soulignant de façon humoristique le décalage entre les préoccupations de ceux, jeunes ou plus âgés, qui vivent en banlieue, et tout le cinoche de gauche ou de droite.

Cette dimension satirique fait qu'il s'agit là du meilleur album de G. Rochier, déjà récompensé auparavant pour "Ta Mère la Pute", tableau sans fard (ni citrouilles grimaçantes) de la banlieue.

On perçoit une légère amertume dans l'humour de celui qui n'a pas fui la banlieue, mais voit le trafic de drogue et ses effets de répandre, commerce qui représente d'ailleurs la meilleure garantie de sécurité pour ceux qui vivent du bon côté de la barrière... la drogue, qui a sur les corps les mêmes effets que l'idéologie sur les esprits.

"Petite Couronne", par Gilles Rochier, éds 6 Pieds sous terre, 2017.