Qu'ont en commun le roman québécois de Matthieu Simard, Ici, ailleurs, 81 pages et le roman français de Claudie Gallay, Les déferlantes, 425 pages?
La lenteur. Une lenteur fort délicieuse, s'entend.
Non pas dans le temps de le lire, mais dans la lenteur de l'esprit qui lit. Le temps de goûter, de méditer.
Une lenteur douce. Bien loin du rythme effréné d'une série américaine où la quantité des effets spéciaux sont servis à une cadence infernale. Non, une petite musique langoureuse qui permet l'introspection, la méditation. Les belles phrases.
" Entre bientôt et maintenant, il avait un peu d'espace. Et qu'il aimerait se servir de cet espace pour aller voir les oiseaux. "
" Les falaises, c'étaient mes chemins de solitude. Je ne savais plus marcher à deux. "
En commun également : le lieu. Le décor des drames. Dans Ici et ailleurs, un village qui se meurt. Un village où on ne tolère pas les nouveaux, d'où on part. Qui me rappelle le mien, dont je ne suis pas très fière. J'ai encore la tristesse, la déception plus que la colère d'un village divisé, vieillissant, silencieux, désert.
" Le silence est tombé un jeudi comme un goutte de pluie et nous a submergés pendant des années. Les oiseaux se sont tus d'un coup, le grincement des charnières rouillées, les cris dans la cour de l'école, le haut-parleur côté passager, les feuilles mortes, le vent, plus rien. Le silence. C'était il y a trois ans, loin d'ici. [...] Dans quarante ans il ne restera rien ni le souvenir de nous ni les photos ni la mémoire de tous les disparus ni les notes d'un violoncelle dans les ruines d'une maison centenaire. "
Dans Les déferlantes, un village plein de secrets aussi, un passé douloureux, mais des sentiers que je voudrais parcourir, une lande aux couleurs d'Irlande, des effluves que je voudrais sentir.
Le vent siffle, glisse sur la surface de l'eau le ciel s'épaissir, la mer se durcit, les bateaux tanguent. Les cargos jettent l'ancre. Et les vieux marchent, attendent que la mer leur restitue leurs morts.
Dans les deux, des humains qui souffrent, qui se questionnent, qui ont perdu un enfant, un frère. Dans Ici et ailleurs, on entend la douleur de chacun. Dans Les déferlantes, chacun des nombreux personnages porte un deuil en lui. Une perte. Dans les deux cas, des liens familiaux que l'auteur nous révèle comme un lever de soleil dans un brouillard matinal.
Lenteur de la douleur, aussi, qui la rend plus supportable à lire. Qui la dissout dans les vagues de la mer, dans un ciel quand il revient bleu.
" On croit tous ça, que l'on ne saura plus faire rien sans l'autre. Et puis l'autre s'en va et on découvre qu'n sait faire des tas de choses qu'on n'imaginait pas.
[...] Je lui ai parlé de toi
Comme une épine enfoncée dans le fond de ma chair. Parfois je t'oublie. Et puis il suffit d'un geste, d'un mauvais mouvement, et la douleur revient, tellement vive. [...]
On se console aussi avec des larmes. "
J'aurais voulu que l'un soit plus long et l'autre plus court. Mais au final, quand j'aurai tout savouré, je serai rassasiée, repue.
Mon village ne sera pas plus accueillant, j'aurai encore envie d'aller voir la mer au cap de la Hague. Et je cesserai de lire quelques jours comme on regarde quelqu'un à qui on s'est attaché marcher au bout de la rue, au bout du quai jusqu'à ne plus voir qu'un petit point à l'horizon.
Le temps que le cœur se desserre.