Retrospective Jérôme Bel

Publié le 31 octobre 2017 par Malm @3615malm

The show must go on etc.

Depuis quelques années, le Festival d’Automne permet de (re)découvrir les oeuvres majeures des plus grands noms du théâtre et de la danse contemporain.e.s. De Lucinda Childs à Robert Wilson, de Maguy Marin à Romeo Castellucci, les « Portraits » ou parcours d’artistes proposés par le Festival ont fait renaître les pièces mythiques et fondatrices de ces grand.e.s artistes.

Héritier de Pina Bausch et – pour schématiser un peu – de son théâtre dansé, variant les formes avec une simplicité virtuose, Jérôme Bel est le chantre de la non-danse. Ses spectacles repoussent les limites du théâtre et font clairement bouger, depuis près de 20 ans, les cadres et frontières imposés par l’Institution.

Avec The show must go on, Jérôme Bel faisait de la chanson pop le matériau de départ de cette pièce aujourd’hui devenue célèbre. Le chorégraphe-auteur y développe avec les interprètes un dispositifs porté sur la réaction des corps. Était alors fabriquée (surtout dans les jeunes années du spectacles, bien que ce soit encore un peu le cas) de la confusion à tour de bras chez le spectateur, allant jusqu’à générer une forme de révulsion chez certain.e.s quand d’autres criaient au génie. Le spectacle est de nouveau programmé cette année, ce serait dommage de ne pas y aller.

L’artiste portraituré + ses portraits d’artistes

Des portraits de danseur.seuse.s jalonnent le parcours de J. Bel : au coeur de son travail et autour de ces personnalités, l’individu derrière (dessous ? dedans ?), celui qui fait vivre, bouger, exister l’interprète est mis au centre de la réflexion et du travail. Qu’ils aient souhaité ou non inclure l’improvisation dans les représentations – ceci découlant du travail, des échanges entre le.a danseur.seuse et l’auteur-chorégraphe – qu’ils ou elle aient fait l’objet d’un spectacle, d’un film ou d’une performance, tous.te ont en commun le fait d’avoir fait émerger une oeuvre depuis un processus unique, propre à l’endroit du parcours et de la vie où l’artiste-danseur.seuse se trouve, au moment de l’écriture.

Cédric Andrieux, Véronique Doisneau (film), Jérôme Bel et Pitchet Klunchun and myself sont quatre oeuvres majeures à voir, à vivre en cette fin d’année.

Ceux qui aiment sont sur scène

Disabled Theater et Gala posent des questions qui reviennent constamment chez Jérôme Bel,  qui relèvent chez lui d’une réflexion appuyée autour de la problématique du pouvoir. Les rapports qui s’immiscent dans les concepts de spectacle, de pièce de théâtre, avec ce que cela dit de ceux d’auteur, d’interprètes et de public, la manière qu’a Jérôme Bel de questionner les rôles a priori bien définis de chacun dans ce cadre-là ouvre la réflexion de manière beaucoup plus large, vers l’existence et la place de chacun dans la société. Qu’est-ce vraiment que ce fameux pouvoir, qui fait faire quoi à qui comment et pourquoi ? Qui est entendu ? De quelle manière ? Cette personne l’est-elle.il vraiment (entendu.e, vu.e, regardé.e) ? Qui regarde qui faire quoi de son corps ? Qui écoute qui raconter ou chanter quoi et comment ? Puis, qui n’est jamais écouté, vu ou entendu ? Pourquoi cela ? Est-ce « normal » ? Qu’est-ce qu’être « normal » ?

Dans Disabled Theater, Jérôme Bel observe la légitimité, la place, la possibilité laissée à certaines et certains de s’exprimer quand d’autres n’en ont aucun droit, jamais. Aucun espace pour rien, pour aucune expression de quoi que ce soit. En laissant de jeunes trisomiques s’approprier totalement l’espace scénique, ce qu’on entend par l’idée de professionnalisme (ce sont des danseurs professionnels, sur la plateau), par l’idée de légitimité – celle de se trouver sur scène, notamment, avec tout ce que ça raconte – sont des interrogations franchement mises sur le tapis. Le théâtre est le dernier endroit sur terre à s’octroyer l’exclusivité de l’attention du spectateur et quoiqu’on en dise, c’est tout sauf anodin. Certain.e.s, notamment tout individu en situation de handicap, n’existent aux yeux de presque personne, si ce n’est à ceux de leur entourage proche. Et encore. Quelle est cette société qui ne veut pas voir, jamais, qui calibre ses individus et rejète ceux qui ne correspondent pas aux normes en vigueur ? Voilà quelques une des questions posées par Disabled Theater.

Gala et sa cohorte de danseur.seuse.s très majoritairement amateur.trice.s pourrait procurer un sentiment de malaise chez le spectateur. Aucune gêne ne se fait pourtant sentir, à aucun moment. Je ne parle bien sûr qu’en mon nom propre : la sincérité, le fait que tout soit apparemment totalement assumé fait vraiment toute la différence sur un plateau. Le spectacle fonctionne par ailleurs grâce à la cohésion du groupe, celle que génère la compagnie, la troupe. Et puis, bien que tous ne soient pas professionnels, l’extraordinaire professionnalisme dont chacun fait preuve est remarquable. L’idée semble être la suivante : on fait ce qu’on peut mais on le fait mieux que quiconque, puisqu’on est le.a seul.e à le faire ici et maintenant. Alors on assume, c’est tout. Les un.e.s et les autres s’entre-aident sur scène, s’imitent. C’est drôle et frais mais personne ne rit sur le plateau, jamais, tous les danseur.seuse.s sont extraordinairement concentré.e.s, surtout les enfants. L’ensemble prend un sens inattendu, plus profond que ce qu’on imaginait avant le début du spectacle. On passe un moment formidable à regarder Mesdames et Messieurs Tout-le-Monde-petits-et-grands évoluer sur scène en costumes parfois loufoques, souvent fluos.

Et tout le reste…

Jérôme Bel proposera également William Forsythe / Trisha Brown / Jérôme Bel interprété par le Ballet de l’Opéra de Lyon à la MAC de Créteil.

Si vous ne connaissez pas encore le travail de ce grand artiste, vous avez jusqu’au 23 décembre 2017 pour découvrir ses oeuvres – essentiellement à paris et en région parisienne ; sa nouvelle création intitulée Un spectacle en moins se jouera en décembre à la Commune, CDN d’Aubervillier.

Tous les détails de nouveau ici.