Allez le Stade

Publié le 10 octobre 2017 par Malm @3615malm

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Les aficionados font parade

Que dire de plus que ce qui a déjà été écrit sur ce spectacle haut en couleurs (sang et or) ? La presse, séduite ou réservée, en a parlé massivement : quotidiens-hebdos-mensuels spécialisés ou généralistes.

De mon côté, malgré toute l’estime portée au Collectif Zirlib, je n’envisageais d’abord que mollement d’assister à ce spectacle. Le foot, sauf contexte extraordinaire (une finale de Coupe du Monde, une invit’ au Stadium pour voir Téfécé-PSG avec des copains), c’est couci-couça.

Mais quand j’ai entendu Mohamed El Khatib déclarer : « aujourd’hui, quelqu’un qui me parlerait de spectacle vivant sans jamais avoir mis les pieds au stade Bollaert, (…) ou qui n’a jamais regardé le désormais mythique 6-1 du Barça contre le PSG, celui-là ne saurait être un interlocuteur totalement crédible ! », j’ai dit d’accord. J’y vais. Les endroits de bouillonnement, les passions que déchaînent chez nous certaines pratiques, activités ou expériences peuvent parfois bloquer toute crédibilité chez autrui, dans certaines circonstances, si la personne en face ne comprend pas notre délire. Je ne saisis que trop bien, ici, le point de vue de l’auteur de Stadium, moi qui esquive toute conversation d’ordre politique ou culturel si mon interlocuteur me déclare ne pas aimer The Wire. C’est idiot mais mon déclic à moi, ça aura été celui-là.

Dans Stadium, il est justement question, essentiellement de passion ; on y observe de quelle manière le foot « structure des vies entières à l’échelle d’un territoire ». C’est une pièce faite de fous rires, de luttes, d’émotions incomparables. Heureusement que j’ai eu ce déclic.

Heureusement.

Certain(e)s n’ont pas apprécié

Certains reproches ont été faits à Stadium : une forme, a-t-on entendu/lu (par-ci par-là) d’instrumentalisation des protagonistes, un jeu entre réalité et fiction qui ferait du tort aux fans du RCL, et, plus largement (allons-y) à celles et ceux qui vivent dans le Nord et sont issus des classes ouvrières, descendants de mineurs – les gens qui travaillaient à la mine, hein, pas les enfants bien sûr.

On traverse, dans Stadium, des moments directement nés de la réalité et retranscrits sur écran pendant le spectacle. Il y a aussi des instants de jeu, de fiction, reproduits chaque soir de représentation, donc, interprétés par des habitants de la ville de Lens et ses environs, fan du RCL et qui ne sont a priori pas eux-mêmes et elles-mêmes acteurs/comédiennes de profession. Ces moments proviennent d’un texte écrit d’un côté  à partir encore une fois de certaines réalité tirées de la vie de ces protagonistes – probablement transcrites par un procédé pur et simple de copié-collé – de l’autre, par l’auteur du spectacle lui-même.

Vous-même, par ailleurs et par exemple, êtes spectateur/trice de théâtre, peut-être, de temps en temps : vous vous déplacez, vous sortez de chez vous, éteignez vos écrans (c’est rare) ; vous payez votre place (si, si) et êtes assez conscients du fait que ce qui se joue sous vos yeux, c’est parfois un peu la réalité, mais pas complètement non plus. Les gens sur scène, dans Stadium, interprètent des personnages qui leur ressemblent, portent leurs prénoms et noms, des personnages qui sont un peu eux-même mais, encore une fois, pas complètement non plus. Pas de doute : c’est bel et bien du théâtre.

Il n’y a pas d’instrumentalisation ici, on ne rit de personne même si on rit franchement beaucoup. Croire, dire, suggérer qu’on met, dans Stadium, des gens sur scène en vue de faire en sorte que tout un public de soit-disant initiés se moquent d’eux est une idée franchement inquiétante, voire carrément tordue.

Je n’irai quand même pas voir ces spectacles

Et je ne vous recopierai pas non plus le passage lu partout  : « les supporters du RC Lens : meilleur public de France » ; il n’y aura pas ici de citation de Gilles Deleuze ou quoi. Je n’irai pas non plus répéter « on encence les ultras dans le spectacle : c’est très mal » ni même « il est question dans Stadium du FN, mais insuffisamment. » : ce que dit la communication autour du spectacle, l’auteur himself en promo ou la presse, on n’est pas là pour redire tout pareil.

Ce que je veux vous faire entendre, moi, spectatrice de Stadium, c’est qu’on y vit un moment de folie, comme jamais-jamais au théâtre. Il y a quelques années, une amie m’avait affirmé, après avoir assisté à une « production très attendue », dans un de nos Grands Théâtres Nationaux (je ne dirai pas lequel des cinq ni à quelle pièce je fais référence – un indice, le metteur en scène est polonais) : « j’ai vu deux personnes se lever en applaudissant, à la fin : c’était complètement dingue. » Stadium à côté, c’est la Colline debout, pas un seul spectateur les fesses sur son fauteuil, tout le monde qui saute à pieds joints, certains répondant à la trompette, d’autres singeant un chien géant. Franchement, ça fait du bien.

Aussi, l’émotion était extraordinaire, notamment quand Georges, supporter de la première heure du RCL nous a fait sa grande démonstration sur scène, avec un immense drapeau cousu main par sa maman – aujourd’hui décédée. L’action glissait selon une sorte de balancement lent, doux et triste. Toute la scène était jouée sur le Cum Dederit – Nisi Dominus – d’Antonio Vivaldi. Oui : c’est totalement cliché dit comme ça mais rien que de l’écrire, j’en pleure encore. Comme dans Finir en Beauté et comme très souvent dans son travail, Mohamed El Khatib parle et fait parler les autres de l’amour maternel, filial, de la douleur et de l’absence du parent parti, des traces qu’il ou elle laisse, comme personne.

Alors j’avais bien dit « je n’irai pas voir Stadium », comme j’ai dit  « je n’irai pas voir C’est la vie » après qu’on m’en ait fait le pitch. Puis j’ai lu ce dernier texte de MEK (ou Momo, paraît-il) ; ça m’a rendu un peu mois réticente. Avec Finir en beauté, Mohamed El Khatib questionnait donc la perte de la mère, de sa propre mère. Dans C’est la vie, il allait décortiquer le fait de perdre un enfant (et, par répercussion, interroger une éventuelle forme de hiérarchisation « des » deuils : puisqu’on entend parfois que perdre un enfant est « pire » que perdre un père ou une mère).

Mohamed El Khatib suscite le meilleur et le pire des réactions  ; c’est ce qu’il cherche, d’ailleurs. Il asticote le spectateur (ou le lecteur), il joue avec le réel et interpelle le monde, le montrant sous des angles inhabituels, qui dérangent… mais qui font aussi tellement rire, parfois. Sa matière première, ce sont les situations de la vie ; son outil n°1 est l’étonnement que suscite chez lui l’observation de l’existence.

Il n’y a que les imbéciles – dont je fais partie, bien sûr – qui ne changent pas d’avis. J’irai pourtant voir C’est la vie. comme je suis allée voir (Dieu merci) Stadium. Pas question de manquer ça.