Nimrod, Gens de brume par Angèle Paoli

Publié le 05 novembre 2017 par Angèle Paoli

J'AI ATTEINT LE SUD DE MON ÊTRE

P arler du sortilège des parfums n'est pas chose aisée. S'il y a un orfèvre en la matière, c'est bien le poète Nimrod. Avec ce petit opus intitulé Gens de brume, le poète offre au lecteur son coffret de santal. Un écrin, tout nouvellement arrivé, d'où émanent tout à la fois les odeurs de l'enfance et les exhalaisons envoutantes de l'adolescence ; puis bien d'autres fragrances où s'affrontent et se rencontrent souvenirs de Provence et d'Italie, saveurs de saisons de voyages et toute une gamme de sensations qui s' osmosent dans le creuset magique des phrases de Nimrod. Ici, dans ce texte subtil, s'opèrent toutes les correspondances avec un talent et une élégance dont seul le poète des bords du Chari détient le savoir et le secret. Peut-être la brume qui émane du fleuve joue-t-elle un rôle dans l'atelier de parfumeur du poète ? Peut-être contribue-t-elle à ce qu'advienne la magie ?

C'est au bord du fleuve que se forge le sortilège. Dès l'enfance. Rien de plus puissant que cette montée dans la lenteur qui ouvre la voix aux parfums. De là il prendra son envol, déploiera ses essences majestueuses et s'accomplira pleinement sous d'autres cieux, en terres de Provence, " sur la route des vignes " où le vol même d'" une buse esquissait le profil d'un improbable flacon. "

Trois temps pour traverser le temps d'une vie, trois temps concentrés dans l'exigence d'une écriture pour dire ce qui fut " le parfum d'estime " composé au saut du lit par l'enfant. Avec pour sésame l'odeur alléchante de " la bouillie de riz à la pâte d'arachide " concoctée par la mère. Avec la mère, le cosmos est tout entier contenu dans le grain de riz, cette " étoile comestible ", savamment préparée. La dégustation de la bouillie s'accompagne du sourire maternel et le bonheur se lit dans les regards échangés/esquivés.

" Des senteurs d'amande, de lait, de miel et de soleil caressent la peau de mon visage comme si quelque puissance migrait de mon ventre vers mon sternum en passant par ma gorge pour s'échapper en sueurs toutes fines par le milieu de mon crâne "

Soudain relayée sur le chemin de l'école par l'odeur des harengs, l'odeur première semble un moment menacée. Heureusement, les manguiers veillent. " Gardiens de la mémoire ", ils obligent l'odeur de harengs, cependant elle aussi très prisée par l'enfant, à refluer pour laisser le passage à celle du sucre. Quelques pages encore pour dire le baptême fluvial noyé, sur les bords du Chari, par la présence imprévue de la " fiancée mystique ". Odile. La fée. La grande initiatrice de la " carte du tendre " du poète - embaumé des " fragrances d'Onalia " dont le " parfum subtil ne se développe qu'une fois " - s'éloigne. Le premier ravissement cède la place à un tout autre, celui de la libération d'un amour. " Je suis si faible soudain, comme ravi par la pensée d'être enfin libéré d'Odile. " Cependant quelque chose d'infini et d'éternel demeure, à jamais gravé sous la peau du jeune homme. Une langue particulière, constellée de toutes sortes d'odeurs qui se marient se superposent se croisent et rivalisent :

" Cette première amorce de discours sur le parfum accroît son importance en moi, qui le rend aussi insaisissable qu'une luciole dans les plis de la nuit. "

Quelques pages, enfin, pour évoquer le temps de Sauve, temps adulte, amours et séparations, et le poète de conclure ce récit enchanteur (à plus d'un titre) avec ces mots qui disent la quiétude :

" Assurément, j'ai atteint le sud de mon être ! Je me suis acquis un royaume inespéré. Chaque atome respiré, c'est comme si en son sein un ver à soie filait l'étoffe de mon futur linceul. J'y mourrai en transparence, parfumé par des mûres qui le sont tout autant. "

Ainsi se clôt le récit d'une vie tout entière tissée par le soin de trois femmes. Trois initiatrices. Expertes en onguents et en charmes odorants. Trois amantes. Passion/Séparations/Libérations.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli