Pacôme Thiellement, La victoire des Sans Roi, Puf, 2017, p. 63
Cet extrait de Pacôme Thiellement illustre bien une des singularités de son approche : dans cette discussion, qui paraîtra sans doute obscure à beaucoup, autour des textes bibliques, où il oppose la vision gnostique, dite des Sans Roi, à la conception chrétienne traditionnelle, il prend comme exemple une œuvre cinématographique (Rashomon) et une série télévisée (Lost). Ce n'est pas un hasard : pour lui "la culture pop (pop music, science-fiction, série télévisée)" n'est autre que "la variable d'ajustement entre la divinité et nous".
Il cite plus loin Ibn Arabi, le grand mystique andalou musulman : "Les gnostiques n'entendent ni poème, ni allégorie, ni panégyriques, ni propos galants, sans que Dieu se présente à travers le voile des formes." Mais c'est pour préciser que la divinité ne s'exprime pas pleinement dans toutes les formes : "Elle est présente partout, certes, mais les formes qui permettent son épanouissement le plus sensible, ce sont les formes populaires -celles qu'on a appelé "mineures". Parce que la divinité n'est jamais aussi pleinement présente que dans ce que nous aimons. Et ce que nous aimons doit nécessairement nous apparaître non comme une expression de la force, mais de la fragilité." (p. 176)
Une autre idée phare apparaît ici : la divinité n'a rien à voir avec le Dieu tout-puissant des théologies ordinaires, la divinité est tout au contraire le plus faible des êtres possibles. Il faut penser le gnostique, écrit Pacôme Thiellement, comme l'acteur burlesque, "de Buster Keaton jusqu'à Jim Carrey, de Charlie Chaplin jusqu'à Pierre Richard : tout ce qui fait le fond de son malheur - sa malchance, sa maladresse, sa distraction - est ce qui le rend gracieux aux yeux des spectateurs. Ce n'est pas une malédiction que d'être maladroit et distrait, mais un signe d'élection. Ce ne sont jamais les "forts" que le spectateur aime, ce sont les éclopés. La véritable divinité voit l'homme de la même façon : ce qu'elle estime gracieux ce sont ses maladresses, ses malchances, sa fragilité, sa timidité, ses bégaiements et ses trébuchements."(p. 174)
Alors les éclopés, les maladroits, les maudits, ils sont, oui, nombreux dans la liste qu'il donne à la page suivante, à la tête de ces œuvres qu'il juge légitime "de lire en nous-mêmes, comme événements de notre âme ": L’Évangile de Jean, les textes manichéens, Sohrawardi, Ibn Arabi, Rûmî, Baruch Spinoza, Wiliam Blake, Gérard de Nerval, Charles Baudelaire, Isidore Ducasse, Alfred Jarry, René Daumal, Simone Weil, Philip K. Dick, la série Lost ou les chansons des Beatles.
La série Lost encore citée ici le sera une troisième fois, page 204, où l'écrivain affirme que l'on doit penser aux trois énoncés Sans Roi qui concluent la série : "Remember", "Let go" et "Move on". " Soit, en termes plus proches de ceux de la Bibliothèque de Nag Hammadi : "Souvenez-vous de votre véritable nature" ; "Laissez être" et "Soyez passant". "
Le hic c'est que je n'ai jamais vu cette série. Non par dédain (aucune réticence chez moi devant la culture pop dont j'ai abondamment pratiqué certaines formes), mais plutôt parce que l'occasion ne s'est pas présentée, par manque de curiosité sans doute également. L'idée que ce ne soit pas seulement un divertissement est maintenant très stimulante. Ni une ni deux, j'ai acheté dans la foulée de ma lecture la saison 1 de Lost. Je peux d'ores et déjà dire que je n'ai pas été déçu, mais on en parle la prochaine fois.