# 276/313 - Grosse Minnie en celluloïd

Publié le 18 novembre 2017 par Les Alluvions.com
"En route vers Paris, sur quatre pneus correctement gonflés et équilibrés, sécurité maximale, je m'arrête dans une station-service peu après Châteauroux (...)"
 Philippe Jaenada, La serpe, p. 631.
13/11 -Au septième jour, j'arrive au bout de La serpe. Réveillé à six heures, à six heures une (j'exagère peut-être un peu) j'étais plongé dans les derniers chapitres de ce feuilleton assez incroyable. Je ne vais pas vous raconter la fin, ça n'aurait pas d'intérêt, il faut lire La serpe, le réserver fissa à la médiathèque ou se le faire offrir pour Noël, c'est un grand plaisir pour pas cher.
Avant de clore au moins momentanément cet épisode périgourdin, j'ai une dernière coïncidence à relever. C'est justement à la toute fin de l'ouvrage qu'elle m'est apparue avec évidence. Parmi les trois victimes du château d'Escoire, il y avait donc la tante d'Henri Girard, Amélie Girard. La sœur de son père Georges, avec qui soi disant il ne s'entendait plus du tout. Et il est vrai qu'il n'avait pas toujours été gentil avec elle, le neveu Henri, il l'appelle "Quart de tonne", "Zéro en chiffre" ou "la vieille pouffiasse" devant tout le monde. Au début du livre, page 31, Jaenada la décrit - au moment où Henri, six ans seulement, est confié à ses grands-parents paternels, après le décès de Valentine, sa mère chérie frappée par la tuberculose -, comme "une gentille fille de vingt-six ans, timide, solitaire, un peu trop grosse, qui occupe tout le troisième étage de l'immeuble, un appartement de dix pièces, seule."

Pour illustrer l'article, je me suis amusé à taper "Tase Kordalov" dans Google, et je suis tombé sur ce site dont la fréquentation est phénoménale, mais qui représente le fameux château d'Escoire, lieu du drame.


A la fin du livre, l'écrivain parvient enfin à pénétrer dans le château, profitant du retour inespéré de son nouveau propriétaire, Tase Kordalov, en réalité Anastasios Kordalis, un macédonien. Avec lui, il fait le tour des pièces, retrouvant avec émotion des lieux qu'il n'a jamais vus jusque-là que sur les photos. Il aimerait bien être seul pour se concentrer, ressentir pleinement ce qui a pu se passer, mais il n'ose pas bien sûr demander à son hôte de sortir :
" Pour qu'il ne me parle pas, je fais semblant de réfléchir (l'auteur, l'artiste) et je réussis tout de même, deux secondes, à voir l'homme qui lève et abaisse la serpe - c'est .... [ Je laisse un blanc, je ne veux pas spoiler cette fin, ça ne se fait pas], mais seulement dans ma tête (et je ne connais pas son visage, je sais juste qu'il a des yeux bleus sournois et de gros sourcils) - et à ressentir de la peine, de la douleur, pour celle qu'il a jetée par terre et déshabillée, morte pour rien, rien d'autre que de la frustration et 6000 francs. Quart de tonne, Lili." (p. 623)
Lili, c'est le petit nom tendre d'Amélie. C'est là que je sursaute dans mon lit (car je suis encore au lit à cet instant), enfin c'est façon de dire, je ne sursaute pas, intérieurement seulement, car je m'avise soudain que j'en connais une de Lili, pas quart de tonne mais approchante, Lili, la grosse Lili, et c'est dans le premier épisode de ma Fiction-1967 :
"Et puis il vit Tic et Tac en peluche. Et, sur la commode en noyer, une grosse Minnie en celluloïd. Oh non, ce n'est pas possible... Pas elle...
Une seule personne parmi ses connaissances pouvait prétendre à une telle collection de disneyseries, c'était Lili. La grosse Lili... Il était dans la chambre de la grosse Lili, et il n'était pas difficile d'imaginer comment il allait se faire chambrer dans les jours qui allaient suivre. Avait-il fait la chose avec elle ? Impossible de se rappeler. Et puis où était-elle ? Il était seul, à poil dans ce lit trop mou, sous le regard de Tic et Tac et de Mireille Mathieu."
Le gars à poil dans le lit de la grosse Lili c'est Louis Dandrel, dit Loulou. Il se fait la malle au petit matin, mais ce qu'il ignore c'est qu'au même moment le père et la mère de Lili baignent dans leur sang. Il devient bien sûr le premier suspect. L'inspecteur Lagneau est chargé de l'enquête dans le sixième épisode :
"Il était en charge d’une sombre affaire, survenue à Tours la nuit du premier de l’an. Un couple de bourgeois égorgés dans leur sommeil, à leur domicile boulevard Heurteloup. Leur fille disparue, évaporée, et un jeune étudiant en sociologie, révolutionnaire de pacotille, appréhendé quelques heures plus tard, dont il est avéré par des témoins qu’il est rentré avec la fille et qu’on a vu ressortir dans la matinée, quelque temps après le meurtre. Ce Louis Dandrel nie farouchement, affirme ne se souvenir de rien. Était trop ivre du réveillon.
Ouais. Là-bas, à Tours, tout le monde est ravi d’avoir rapidement identifié le coupable. Mais Lagneau n’y croit pas. Il n’a pas de sympathie pour les gauchos, c’est un homme d’ordre, lui, (il n’a pas hérité de l’anarchisme paternel), mais il lui a suffi de voir le loustic pendant cinq minutes pour être intuitivement certain qu’il était bien incapable de trancher la gorge de qui que ce soit. Mais pour l’instant il le garde au placard, lui fera pas de mal un petit stage à l’ombre, il aura le temps de dessoûler."
N'y a t-il pas comme un petit air de ressemblance avec l'affaire d'Escoire ?