Dire qu'hier, rédigeant les articles sur Clouzot, j'ai failli faire un petit aparté sur le rôle justement de la fumée dans sa mise en scène. Oui, Clouzot adore la fumée. Il fumait lui-même la pipe, et aimait filmer les belles femmes qui fument. Ainsi dans L'enfer, Romy Schneider :
La fumée, chez Clouzot, est un motif esthétique. Les volutes gracieuses, les arabesques imprévisibles de ce tabac qui brûle sous le souffle de votre gorge, il semble ne jamais s'en lasser. Regardez l'affiche du Mystère Clouzot. Que choisit-on pour représenter l’œuvre du cinéaste sinon, encore une fois, Romy, dont la bouche laisse échapper l'impalpable substance dans son irrésistible ascension céleste ?
J'ai regardé Quai des orfèvres récemment. C'est une orgie de tabagie. Tout le monde clope ignoblement, dans les théâtres, les restaurants, les commissariats, pas un lieu n'y échappe.
Alors bien sûr, le tabac va avec la fumée, mais ce n'est pas la seule façon d'en produire. Les gaz d'échappement d'un camion peuvent aussi être mis à profit. J'avais été frappé par exemple par ce rush de L'Enfer où un personnage en train de courir était rattrapé par un camion dégageant une lourde fumée noire dans laquelle il se retrouvait comme immergé.
Tout ça c'est bientôt fini, le Diesel, les cigarettes. Un monde sain et pur régnera sur les écrans. Peut-être même finira-t-on par gommer numériquement les fumeurs et leurs fumées sur les pellicules d'antan. On aura le poumon dégagé et le cerveau vide.
Dois-je préciser que je n'ai jamais fumé de ma vie, et que la vision de tous ces films fumants comme des diables ne m'a jamais induit en tentation ? Dénoncer les dangers du tabac, je n'ai bien sûr rien contre, il faut le faire, et lutter contre la publicité des grandes multinationales du tabac, oui encore, mais, ministres, députés et sénateurs, par pitié, laissez le cinéma, la littérature, l'art en général en dehors de vos catéchismes. Pour vivre, on a plus besoin de Hulots et de Clouzots que de Buzyns et de Castaners.