Magazine Journal intime

Chroniques d'Europe (16) - l'Impasse

Publié le 02 juillet 2008 par Audine

Une haie de troènes séparait la rue en deux, et a produit deux impasses, baptisées du nom pompeux de résidences, au milieu de la rue de la Fée , la rue du Puit – entouré de grilles en fer forgé, et bouché avec une planche – et la rue de la Bergère.

Entre le sentier et le champ, pour aller à l’école, nous varions tout le temps, pour ne pas passer chaque jour devant une maison pourvue d’un donjon, pur enchantement pour l’imagination, et que l’on disait hantée.

Notre maison était une maison jumelle comme les autres à un étage, la deuxième en partant du fond de l’impasse, à droite. A travers les murs, nous entendions les voix de nos voisins, surtout celle, chantante et d’un rire de grelot, de madame T.

Les voisins de l’autre coté, séparés de nous par une allée qui menait à notre garage et à une cave à charbon où l’on rangeait les vélos, étaient ceux que nous connaissions moins bien.

En face d’eux, à garder le Fond de l’Impasse, une famille avec deux filles de l’âge à peu près de mon frère et moi. Le père était prof de profs de maths, à l’Ecole Normale Supérieure, et la mère ingénieur dans une grande entreprise automobile. Leur maison était un Rêve de Banlieue, entretenue et coquette. Plus tard, le père me disputera pour avoir joué à un jeu un peu sado-maso avec sa plus jeune fille - elle dans le rôle de la maso – et sans en parler à mes parents. Il insinuera à ma mère - dont il évaluait mal l’indépendance d’esprit, et surtout, l’impérieux instinct selon lequel elle pensait ne pas avoir le choix – que peut être je sortais trop et ne me consacrais pas suffisamment aux études, et enfin, me donnera des leçons de maths, avec un art et une pédagogie me permettant de savoir avec exactitude pour toujours ce que veut dire le mot enseigner. Je me souviens que j’allais espionner, derrière leur grillage, comment ils vivaient et qu’il le savait.

A coté d’eux et face à nous, il y avait une famille dont le père travaillait dans un garage, et pourvue de deux fils, dont un que je trouvais beau.

Puis, il y avait une famille italienne, dans une maison très ouverte, dans le jardin duquel il y avait, ô merveille des merveilles, une balançoire de cordes et planche en bois, sur laquelle on avait le droit de se balancer debout. La mère avait la tête un peu ailleurs et passait beaucoup de temps à admirer d’un regard franchement et naïvement admirateur, les ouvriers qui venaient faire des travaux, pendant que son mari dormait pour partir le soir en mobylette à son usine, où il était veilleur de nuit. Elle nous pressait des oranges et nous n’osions pas refuser de boire malgré la pulpe, que ma mère elle, retirait à l’aide d’une passoire. Nous entendions souvent la grosse voix du père et nous en avions peur.

Ils avaient quatre enfants, un garçon et une fille pour les deux aînés que nous voyions moins, et un autre garçon et une autre fille pour ceux que j’allais régulièrement chercher ou qui venaient solliciter pour organiser des jeux géants. Le fils cadet voulait absolument m’entraîner dans son garage pour tester un baiser, et tentait de me convaincre de le suivre, accoudé à son portail vert bouteille, et mimant son fantasme. Je déclinais la proposition, le coté gluant de la chose me rebutant encore plus que la pulpe du jus d’orange, c’est dire.

Un jour la mère est partie, et c’est en pleurant que le père a raconté à ma mère qu’elle buvait, avait des problèmes mentaux, et qu’elle était morte dans un asile psychiatrique, à la fin d’une errance sans but.

Il a continué seul d’élever ses quatre enfants, qui lui vouaient un amour infaillible. Une fois les grands partis faire leur vie, le fils cadet est resté, et a vécu avec son père, sans femme.

A coté d’eux et en bout d’impasse, vivait une famille qui avait deux enfants, qui était bretonne et catholique, puisqu’ils allaient à la messe. Leur fille, Marie Thérèse, était de l’âge de participer aux jeux de la résidence. Plus tard, au ratage de son bac, ils diront que c’était la faute des examinateurs, et j’ai pensé pour la première fois que parfois, les gens étaient de mauvaise foi …

Face à eux, et gardant l’Entrée de l’Impasse aussi, vivait une famille d’algériens, de trois filles, Nadia, Farida et Dalila, Dalila étant d’une beauté et d’une grâce qui m’hypnotisaient.

La famille avait des disputes que nous comprenions mal, avec nos voisins de maison jumelle, pieds noirs.

Madame T. était rieuse, petite et vive, généreuse. Bien que très conservatrice, voire réactionnaire, ma mère l’appréciait. Son mari était une sorte de géant, qui travaillait à l’EDF. En Algérie, ils avaient eu une première fille, Michèle, qui était restée sourde à la suite d’une méningite, dite mal soignée par sa mère. J’ai encore dans les oreilles le son particulier de sa voix, puisqu’elle avait été oralisée.

Puis ils avaient eu un fils, venu nous dire au revoir avant de partir au service militaire, il tordait une casquette pour l’essorer de sa timidité, planté devant nous.

Puis, une dernière fille, Danièle, de quatre ans plus âgée que moi, chargée plus tard de m’accompagner au collège, à une demie heure à pieds.

Cela devait lui peser un peu, car à une fête avec ses amis dans son garage, a laquelle sa mère avait dû l’obliger à m’inviter, ils m’avaient fait uriner dans un seau et étaient revenus avec des gâteaux secs, me racontant qu’ils avaient été fabriqués avec mon urine. J’avais retiré des leçons précoces de ce moment, en particulier qu’il n’était pas dangereux de passer pour idiote auprès des gens et que cela de plus, permettait de mettre en évidence des vérités parfois camouflées. N’importe comment, je n’aimais que les gâteaux au chocolat.

Danièle a gardé toute sa vie ses amis de lycée et m’invite régulièrement, si bien que je les connais.

Elle a fait médecine, au grand dam de sa mère, qui avait découvert des tracts du MLAC dans sa chambre, ce qui faisait bien rire en douce ma mère.

Elle a épousé un copain de lycée, qui faisait lui dentiste, ils ont eu deux filles puis adopté un neveu, fait construire une belle maison pas loin de l’impasse, et elle est devenue médecin du travail. Elle est toujours aussi fondamentalement taquine, aimant mettre mal à l’aise les gens, pour rire. Je me souviens d’un jeu chez elle, où il fallait que les hommes reconnaissent leur femme les yeux bandés, juste en caressant les mollets des femmes présentes.

Danièle n’a pas une tendresse apparente, et le jour de son mariage, plusieurs témoins l’ont entendu s’énerver contre son futur mari, en lui disant « mais t’es con ou quoi ? ». Mais derrière des lunettes fines et des yeux d’un bleu cristallin, il y a une âme qui a du se fabriquer une carapace.

Son frère s’est marié et a fondé une famille nombreuse quelque part en banlieue, et Michèle s’est mariée également, avec un sourd de naissance, militant pour l’apprentissage universel ou tout au moins dès l’école en France, du langage des signes.

Ils ont eu deux enfants, dont l’aînée est née sourde. Elle était assez douée, et ses parents et grands parents ont du se battre pour qu’elle puisse poursuivre des études, l’amenant à faire des trajets importants entre l’Haÿ les Roses et les écoles parisiennes, dès son jeune âge.

Monsieur T. était très bricoleur, et il s’est coupé des phalanges une fois, en faisant de la menuiserie, mon frère et moi avions aperçu avec une horreur fascinée des lambeaux de chair sanguinolents accrochés aux feuilles de vigne qui recouvraient la pergola sous laquelle il bricolait.

Madame T. nous aimait bien, je me rappelle des meringues qu’elle faisait, si croustillantes à l’extérieur et si molles et collantes à l’intérieur, et aussi que l’on buvait de l’Anthésite et que c’était exotique tout ça. Il y avait aussi chez eux des piles d’illustrés, Blek, Kiwi, Rodéo, Nevada, qui m’ont provoqué mes premières addictions.

Comme madame T. avait un fichu caractère, lorsqu’un ballon ou une balle avait atterri chez elle, les autres enfants nous envoyaient, mon frère ou moi, aller les demander, et nous revenions victorieux et pourvus d’un bonbon.

Il y avait aussi des rajouts qui ne faisaient pas partie de la Résidence. C ’était les voisins qui collaient immédiatement soit par les jardins de derrière, soit par les jardins d’à coté.

Une des familles avaient deux fils dont le plus jeunes écoutait à fond Johnny Hallyday, et mon frère et moi nous moquions de lui en singeant son idole, et en hurlant « queue jeux taimeu » et ça l’énervait.

Plus tard, lorsque sa femme l’a quittée, il s’est tirée un coup de fusil dans la tête et en est resté un légume.

Une autre avait deux enfants également de nos âges – toutes les familles étaient sur le même schéma, au même stade de leur vie – et le fils aîné a fait le désespoir de ses parents en s’engageant dans une secte dans laquelle il entraînera également sa sœur.

Une autre famille est venue s’installer un peu plus tard, avec deux enfants. Le fils aîné me plaisait beaucoup, mais il n’a pas eu de chances. Il s’est tout d’abord fait renversé par une voiture à la sortie de l’impasse, et les médecins ont du lui reconstruire sa mâchoire, ce qui lui ôtait beaucoup de son charme. Puis par la suite, il est mort à l’âge de 18 ans, d’un cancer fulgurant d’Hotchkin.

Il y avait aussi cette autre famille pourvue de deux filles, la plus jeune faisait de la danse classique avec moi, la plus âgée était hôtesse d’accueil mais plus tard, elle a eu un accident de voiture et est passée à travers le pare-brise – à l’époque les ceintures n’existaient pas – et on devinait les coutures sur son visage derrière l’épaisse couche de fond de teint.

En face, il y avait une autre Impasse, mais nous ne fréquentions pas les habitants.

Parfois, avec mon frère, on allait en douce dans les cités HLM qui urbanisaient peu à peu les environs et notamment à Fresnes, pour profiter des jeux d’extérieur tels que les toboggans, avant de nous faire chasser par les enfants de la cité, défendant leur territoire.

Dans cette impasse il reste les cris et les rires et les apprentissages d’une petite vingtaine d’enfants, loin de leur destin respectif, une période d’or, le plus précieux des débuts.

Un bonheur sans mélange.


Retour à La Une de Logo Paperblog