Auxeméry | tes haillons, bonhomme…

Publié le 12 décembre 2017 par Angèle Paoli

TES HAILLONS, BONHOMME...

t es haillons, bonhomme

ton chant de gorge, ton étouffoir

pendant que les grains naissent

là-bas, où le ciel mûrit ses hivers

que les averses giclent sur les plaines

où les troupeaux paissent les graminées -

tes vêtements de sable & d'argile friable, toi

tes sandales harassées, tes poches creuses

& ta faiblesse, demeurer - quand le ciel se fige,

quand ton ennui brasse ses nostalgies

que tu voyages encore à la rame de guingois

& et que les vents nés d'ailleurs s'en viennent trépasser

au coin de ton bureau d'idéologue du train-train de scribouillage

voyons,

les bêtes lentes plaquent leurs bouses avec plus d'à-propos

les ruminants défèquent entre les herbes des semences plus pertinentes

monseigneur le rapace déchire mieux les entrailles des antilopes

son compère le lion rote plus heureusement sa ripaille de boyaux

on rêve d'oripeaux trop nobles sur ce coin de table, on est gris de vins frelatés
on empeste du gosier, on se drape de frusques au rabais

frappe

ta monnaie de main moins lâche, s'il te plaît, coche ta flèche au mitan de la cible
où un tantinet de sang viendra perler autrement que pour la séduction des goules

un soupçon de cruauté vraie, mon cher

au diable ces striges, ces effraies de carnaval

tu es le masque, toi - patient cadavre, œil ouvert sur le mur clos

là derrière, la monnaie sonne clair, le sang rissole à plaisir, les babines chuintent

& là-bas oui, les pluies encore, espèces de déluges longs, avec les animaux
tout à leur industrie avec ces meurtres & ces digestions

imite ce festin, falsifie & tu deviendras vrai

Auxeméry, Lignes de failles in Failles/traces, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2017, pp. 92-93.