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Ghyslaine Leloup & Noël Roch, Bien à vous, Une correspondance par Angèle Paoli

Publié le 13 décembre 2017 par Angèle Paoli

LE COLLOQUE SINGULIER
Ghyslaine Leloup & Noël Roch, Bien  à vous, Une correspondance  par Angèle Paoli
Noël Roch, Ghyslaine Leloup au fauteuil bleu (détail), 2012.
Acrylique sur panneau

C' est une " drôle de chose " que cet échange épistolaire entre un médecin-philosophe-peintre-ogre et une poète (poétesse ?). Un " colloque singulier " à deux voix, cependant : celle de Ghyslaine Leloup et celle de Noël Roch. L'un et l'autre ont en partage la première de couverture ; le peintre, par la toile choisie pour illustrer le recueil ; la poète, par le titre qu'elle donne à cet ouvrage à quatre mains : Bien à vous. C'est par cette formule que Ghyslaine Leloup clôt l'échange intitulé " L'ogre et les bulles ". Dans l'épilogue qui suit et dont elle est l'unique scriptrice, le " vous " qui a dominé et guidé cette correspondance se change en " tu ". La formule finale devient alors " Bien à toi ". L'ensemble de l'échange est relié sous le sous-titre : Une correspondance.

Comment les deux voix se sont-elles croisées puis rencontrées ? Comment les deux épistoliers sont-ils entrés en contact l'un avec l'autre ? L'échange ne le dit pas explicitement. Mais l'allusion à Facebook laisse entrevoir que c'est par le biais de ce réseau que s'est liée cette amitié, tissée de complicités, de réflexions, de mises en parallèle des expériences, d'interrogations et d'antagonismes. La correspondance, toute électronique, s'est agrémentée d'envois de photos et de reproductions de toiles. Elle s'étire sur presque trois années, entre le 13 janvier 2011 et le 12 août 2013. Veille de " la première rencontre de visu " de Ghyslaine Leloup et de Noël Roch, le 13 août 2013, à Bayeux, en Normandie.

Entre les deux épistoliers s'est installée une durée. Parfois interrompue par les aléas que connaît chacun au cours du temps qu'il traverse. La place est alors faite au silence. Puis l'échange reprend. Entre poésie et peinture se construit une approche progressive. Avec pour point d'accroche le regard.

" Je ressens dans vos textes une tension, une force, un étonnement, une expérience de vie, une maîtrise du déséquilibre, le monde serré de votre regard ", écrit Noël Roch (NR) dans le prologue.

Le regard ? Celui que chacun porte sur soi, sur son propre travail. Sur ses origines sociales et sur l'incidence qu'elles ont eue sur chacun des protagonistes et sur leurs choix de vie respectifs. Sur les autres aussi, proches ou moins proches. Sur l'autre, enfin, cet étrange étranger avec qui l'on s'entretient, derrière son écran, et que l'on ne connaît pas. À partir des toiles et des mots, chacun tente de comprendre l'autre ; d'établir des ponts entre deux modes d'expression qui ne procèdent ni de la même matière ni de la même manière ; d'aborder à la pensée structurante et intime de son correspondant ; de s'accorder à lui et de rebondir à ses propos. " Oui mais non ", reprend souvent Ghyslaine Leloup (GL) avant de relancer une réponse plus complète. Et, en définitive, pour l'un et pour l'autre, ne s'agit-il pas de tenter de " démasquer le personnage pour rencontrer l'homme " ? C'est sans doute cette quête qui anime le peintre pour qui " médecine et peinture ne sont pas antinomiques ". Bien au contraire. Ces deux passions se complètent, qui nécessitent " un regard convergent et des esprits qui se frottent l'un à l'autre, s'émerveillant des différences d'approche. " Pour Ghyslaine Leloup, le médecin semble avoir une longueur d'avance sur " l'homme de la rue ". Car celui que le médecin a en permanence sous les yeux, c'est l'humain, " sans les oripeaux qu'il arbore pour se rassurer et oublier. " " Le roi nu " est là, sous ses yeux, dépouillé de ses faux-semblants fanfaronnades et illusions. Ce qui rejoint la quête de Ghyslaine Leloup :

" Trouver une parole "d'être humain" à ras de la conscience du vivre, essayer d'aller plus loin que mon moi anecdotique, extirper une sorte de femme primitive. " Énonciation qu'elle complète par une analyse lucide d'elle-même :

" Je sens mes limites, les verrous, je ressens souvent l'étroitesse dans mon expression. En même temps, je refuse la violence qui pourrait en surgir, préférant continuer sur une certaine tension. Oui, mais non donc... "

Pour le peintre comme pour la poète, ce qui émerge du dialogue, c'est cette nécessité d'être au plus près des exigences que chacun poursuit. Vis-à-vis de soi, vis-à-vis de l'autre.

Pour GL, " ces courriers ne sont pas des monologues déguisés, comme souvent... C'est du mouvement, avec des mots, où la part d'imaginaire doit être tenue à distance pour que soit le "parler vrai" - ni confidence ni intellectualisation outrancière... Ni conversation ni entretien. " Un peu plus loin, pourtant, dans le même espace épistolaire, elle confie : " Notre conversation au long cours m'est jubilatoire. " ( in " Correspondance, quel mot superbe, multiple ! ")

Plus loin, dans un autre échange qui s'ouvre sur un portrait de Noël Roch par Coucke (Katherine Coucke partage avec Noël Roch l'Atelier CouckéRoch), Ghyslaine Leloup définit leur échange épistolaire comme une " bulle ". Car, écrit-elle, " il n'y est question que de soi, et du monde dans la relation qu'on entretient, ou pas, avec lui. " Et la poète de prolonger son approche et de la justifier en la complétant ainsi :

" La bulle n'est donc pas un repli : c'est léger, rond, ça rebondit, fait lever les yeux, c'est comme un ballon gonflé d'hélium. Une voix amplifiée ? Ma métaphore de l'échange. " ( in " L'ogre et les bulles ")

Par la vision qu'elle a de cet échange, Ghyslaine Leloup, qui nourrit pour les correspondances des siècles passés une passion toujours vive, rejoint les préoccupations qui pouvaient être celles de la marquise de Sévigné, par exemple. Ouverte sur le monde et à l'écoute de son bruissement incessant, la grande épistolière était capable, jusque dans l'éloignement qui la maintenait hors de Paris, de rendre compte par sa plume alerte de ce qui se passait dans la capitale. Ici, dans le cas d'une correspondance par courriel, le temps et l'espace prennent une tout autre dimension. Ils n'en sont pas moins présents. Ainsi, en se livrant à cet exercice d'un genre renouvelé, Ghyslaine Leloup renoue-t-elle avec cet art de l'échange qui tient les sens en éveil et aiguise le regard. Non sans se départir d'un certain humour.

La peinture. Le regard. Dans cet ouvrage qui comporte des reproductions de toiles de Noël Roch, des photos et des poèmes de Ghyslaine Leloup, une toile et un poème de Coucke, deux portraits retiennent plus particulièrement mon attention. Celui de Noël Roch réalisé par Coucke. Un écho, en quelque sorte au portrait que Noël Roch a peint de Ghyslaine Leloup. Une symétrie parfaite. Au choc de Ghyslaine Leloup face à elle-même - " dépecée, jusqu'au noyau " - répond le " regard sagittal " dont elle qualifie le portrait de Roch réalisé par Coucke.

Les deux portraits ne se rejoignent-ils pas, en effet, pour dire l'" Énigme froide " que chacun des épistoliers cherche à décrypter derrière les précautions dont il s'entoure ?

Noël Roch, se regardant dans le portrait de Coucke, déclare :

" L'œil de l'émotion, c'est mon œil gauche et l'œil mathématique, c'est mon œil droit. Peindre, c'est la balance continuelle de la décision qui oscille de l'œil droit à l'œil gauche. C'est cela qui immobilise au final le tableau, sans le tuer tout à fait, il faut qu'il gueule dans sa prison. "

Regardant celui qu'il a fait de Ghyslaine Leloup, il rassure la poète en l'invitant à une lecture différente de celle qu'elle a faite d'elle-même - le visage d'" un avant-dernier souffle ".

Y lire plutôt " l'épreuve de la Vie, comme un archet fait résonner un violoncelle. " Et le peintre de poursuivre :

" Est-ce que le son est dur, énigmatique, parce qu'il meurt dans l'instant qu'il est produit ? C'est cette réalité que j'ai peinte. Mais la musique est globale. "

J'emprunte à la belle préface d'Alain Vircondelet ces quelques mots avec lesquels je me sens, lectrice séduite par ce dialogue, en parfaite symbiose et adéquation :

" Le mystère de ce récit, insolite et rare, est que jamais son lecteur ne se sent voyeur ou importun. Il est, lui aussi, partie prenante de cette aventure duelle, il s'y glisse sans fausse pudeur, ami et souriant, invité de ce que ses auteurs appellent " le colloque singulier ".

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


Ghyslaine Leloup & Noël Roch, Bien  à vous, Une correspondance  par Angèle Paoli


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