billet inspiré par la lecture d'Au nom du pire,lien roman de Pierre Charras, de Monsieur Henri, (du même Pierre Charras), et de tous les livres d'Henri Calet que j'ai lus
J’ai l’air de me moquer un peu, mais pas du tout : j’ai un grand faible pour ces écrivains tendres, d’autant plus que comme par réaction, ce sont aussi des maîtres de l’esquive railleuse, de l’autodérision rieuse, parfois cruelle, un tantinet masochiste. Qui dit larmes ne signifie pas forcément larmoyant.
Philippe Claudel, donc, préface le roman posthume de Pierre Charras dont le titre-jeu-de-mots fleure bon la titraille des petits romans noirs des années 80. Avant de rencontrer l'homme devenu son ami, il l'avait, dit-il, rencontré dans ses livres “ Que j'avais lus comme on entre dans un lieu fait pour nous et au sein duquel on se sent immédiatement chez soi. Un chez-soi qui amène un sourire doux dans le regard, mais serre aussi le cœur. ”. Et comme François Bott, il souligne la filliation Calet—Charras : “ Calet, dont Pierre admirait tant l’œuvre qu'il l'a en quelque sorte prolongée en écrivant un texte rare et précieux, Monsieur Henri,.”.
Au début on se sent loin de Calet dans Au nom du pire : la province, la politique, des personnages typés qu'on verrait plutôt dans un film de Claude Chabrol. Et puis à un moment, quand on passe (je dis pas comment) du cirque électoral de 1995 aux jours terribles de l’Épuration, ça bascule dans l'émotion. Ça reste très roman-roman, construit rapide et efficace, zéro pathos, mais Charras distille en douceur et profondeur le sentiment du chagrin dans un scénario à la Baron Noir. Depuis La nuit, le jour et toutes les autres nuits de Michel Audiard, je n'avais pas lu quelque chose d'aussi poignant sur les atrocités populaires ordinaires de la Libération. Et ce temps-là, c'était celui de Calet, celui de Contre l'oubli ou des Murs de Fresnes.