Fabienne Raphoz, Parce que l’oiseau par Angèle Paoli

Publié le 20 décembre 2017 par Angèle Paoli

" J'ÉCRIS, COMME D'AUTRES DANSENT LA TARENTELLE "

J ubilatoire. Tel est le qualificatif qui me vient spontanément à l'esprit en lisant en écrivant à partir et autour des " carnets d'été d'une ornithophile ". Parce que l'oiseau. L'ornithophile (à ne pas confondre avec l'ornithologue), c'est Fabienne Raphoz, dont je suis de tout temps une lectrice assidue et admirative. Parce que l'oiseau, justement. Dont elle parle si bien, en poésie ou en prose. Et, à chaque lecture, c'est la jubilation qui domine. Une jubilation communicative qui est d'abord celle de la poète. Le terme, du reste, revient à plusieurs reprises sous sa plume d'observatrice - silencieuse respectueuse et tendre - des frondaisons des bois et des arbres où gîtent ses nombreux amis.

" Nommer, les langages, scientifiques ou vernaculaires, ne sont finalement que variations multiples sur un même thème : une commune jubilation. " (p. 99)

Ou encore, à propos de l'Hypolaïs polyglotte* :

" un vrai embrouillamini et une grande jubilation d'ajouter un son inconnu à ma petite encyclopédie sonore personnelle. "

Et plus loin :

" Jubilations multiples, le savant américain qui nous servait de guide, non seulement pour établir l'édition naturaliste de ses propres Voyages qui allait bientôt paraître en français, mais aussi pour suivre la piste des oiseaux sur laquelle il nous arrivait de croiser un de ces gigantesques Magnolia grandiflora, dont la grosseur du tronc attestait le grand âge. "

Les jubilations de la poète sont multiples. Les miennes le sont pareillement.

Amie des sous-bois des forêts, des histoires qui les habitent, de leurs habitants, souvent minuscules et invisibles - et dont la vie est pourtant perceptible pour celui/celle qui sait tendre l'oreille - et qui se manifestent par un tintamarre joyeux et ininterrompu, Fabienne Raphoz est poète des oiseaux, experte talentueuse ès chants et infinies modulations des oiseaux ; mais aussi rompue aux secrets de leurs vies et mœurs, parades amoureuses et plumages, nidifications et migrations, vie de couples et voyages. Une passion qui nourrit la poète depuis son enfance savoyarde et qui se poursuit aujourd'hui encore dans sa nouvelle existence :

" J'ai réfugié mon pays natal du Faucigny entre deux petites départementales peu fréquentées des Causses du Quercy, dans une de ces maisons sorties d'une vie antérieure et qui vous dit : "c'est ici". Au moment précis où je commence ce livre, le 30 juin, 9h38, un Troglodyte mignon est à peu près le seul de sa classe à percer le silence. "

Ainsi s'ouvre la " Chronique du Colombier ", le premier chapitre de ce livre-manifeste et chant d'amour.

Ainsi l'éditrice-poète-ornithophile n'a-t-elle de cesse d'observer d'attendre d'enregistrer d'arpenter les terres d'ici et d'ailleurs, corps en suspens, œil et oreilles aux aguets, munie de jumelles pour approcher les oiseaux sans les déranger, les suivre dans leurs moindres déplacements sans qu'ils prennent ombrage de la présence humaine. C'est tout un art, un art de vivre et de faire, fondé sur le respect, l'écoute et la discrétion. Le silence. Parce que les oiseaux sont ses amis. Des amis dont nous avons tant à apprendre :

" L'infime toujours, à sauver, cet infime qui nous sauve, provisoirement. "

Ornithophile, il faut en vérité l'être pour s'interroger, dès le saut du lit et jusqu'à la nuit tombée, sur les allées/venues des passereaux Sittelles torchepots merles Grives draines mésanges grimpereaux... sur les cohabitats des différentes espèces, leurs interrogations (eh, oui !) ainsi que celles qu'elles suscitent chez l'observatrice et son compagnon B. Mais, sur l'échelle des humains à même de distinguer le kschè-kschè- kschè de la pie-grièche du Hûit du Pouillot véloce ou du Huuuit du Pouillot de Bonelli (pour n'évoquer ici que ces quelques flûtistes), Fabienne Raphoz est davantage qu'une simple amatrice et admiratrice. Elle est pour moi - qui aime les oiseaux mais qui ne m'y entends guère - une ornithophile de talent. Une érudite (même si je ne suis pas certaine qu'elle partage cet avis ou ce terme). N'empêche. Il entre dans sa passion une prodigieuse exigence de précision. Quasi scientifique. Organisée, Fabienne Raphoz partage l'exercice de son art entre expérience du terrain et travail en bibliothèque. Sur le terrain, petit enregistreur et carnets en mains, elle capte, note, griffonne. Plus tard, de retour dans son Colombier, elle classe, relit/relie puis compulse les nombreux ouvrages qui composent sa bibliothèque. Ouvrages anciens d'ornithologues confirmés. Elle vérifie complète rédige. Parce que les oiseaux. Une passion. Qui commence " dans un geste ".

Fabienne Raphoz emprunte au poète américain George Oppen ces mots qui pourraient la définir :

" ouvrir la fenêtre et dire, voyez, un monde existe ".

L'invitation au voyage est multiple. Parfois sur place, autour du Colombier, parfois en terres lointaines, Égypte, Amérique, Galapagos... Ce faisant, Fabienne Raphoz entraîne dans son sillage la lectrice jubilante que je suis. Et la tient à l'affût d'une foultitude d'oiseaux dont les noms aux étymologies étonnantes ravissent. Dans ce foisonnement d'images, la voici embarquée et bientôt égarée en des déambulations labyrinthiques à travers taxinomies clades genres ordres familles... Une complexité qui la convainc d'aller dénicher dans sa propre bibliothèque les trois modestes ouvrages qu'elle tient à portée de main.

En effet, à défaut du Géroudet et du Deroussen, je me contente pour ma part du Guide vert des oiseaux de France publié par les éditions Solar ; d' Étymologies des noms d'oiseaux de Pierre Cabard et Bernard Chauvet ; et d'une édition plus rare (numérotée et datant de 1932), héritage sans doute d'une grand-tante d'origine celte : Les Jours et les Nuits des oiseaux, de Jacques Delamain (Stock). Voyage à travers les langages, les espaces sonores, les inventions architecturales des oiseaux, le " dimorphisme sexuel ", la biodiversité. Exubérante et exaltante biodiversité. Une forme de bonheur. Et un étonnement " pour cette incroyable vie qui n'a jamais été réduite à zéro. "

Voyage dans l'espace mais aussi dans le temps, jusqu'aux ancêtres ptérodactyles du Pliocène, jusqu'aux traces laissées dans le sol meuble des carrières calcaires de Crayssac (Quercy) par les ptérosaures :

" Je suis un enfant comme tout le monde, sauf que je ne savais pas que toute cette fabuleuse faune avait laissé des traces tout près du Colombier, et que La Plage aux Ptérosaures était un vrai haut-lieu de la paléontologie... "

Des animaux volants aujourd'hui disparus, nous voici de retour au Colombier et à ses hôtes. Roitelet triple-bandeau, " Troglo " mignon, Fauvette à tête noire, Rougequeue à front blanc... Sans parler des geckos des murailles, des éphippigères stridulantes, du Petit Rhinolophe (" qui sort de chez lui " tous les soirs). Et de Lady Hulotte qui dialogue, yeux grands ouverts, avec l'ornithophile de céans.

Chaque chapitre de cette chronique en pays animalier - car une longue chaîne d'animaux petits et grands trouve place parmi les oiseaux - est un bonheur et un enrichissement. L'humour de Fabienne Raphoz, sa simplicité, sa modestie, sa tendresse envers la nature, son humanité, la profondeur de sa réflexion, son sens de la précision mais aussi la richesse de ses interrogations et recherches, la poésie qui élime les aspérités d'une approche difficile, le plaisir qu'elle a à partager avec d'autres son bonheur d'ornithophile, sont autant de pistes qui conduisent tout droit au plaisir du texte. Lequel culmine parfois au cœur d'" une rêverie babélisée " sur les Pouillots ou des Moqueurs polyglottes ; sur " la langue d'éros " du paradisier ; sur les " araignées-loups " des sous-bois, qui " stridulent " comme les grillons et " tambourinent " comme les pics. Et qui font dire à la poète :

" J' écris, comme d'autres dansent la tarentelle ".

Quant à moi, j'ai une tendresse particulière pour Lady Hulotte qui a élu domicile dans " le Grand Pin majuscule du Colombier "... Axis mundi de la chouette.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli

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* : " Lorsque l'espèce est nommée selon la taxinomie en vigueur, elle porte une majuscule ".



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NOTE d'AP : cet ouvrage est disponible en librairie le 4 janvier 2018.