Tenue de camouflage

Publié le 28 décembre 2017 par Anned

J'ai été diagnostiquée à un âge "canonique", c'est à dire à 50 ans passés. Donc pendant 50 ans, mes particularités autistiques sont passées inaperçues aux yeux de mon entourage, ou bien elles ont été attribuées à d'autres causes.

Evidemment, ce diagnostic, pour mes proches, c'est très déstabilisant. Vous croyez connaître quelqu'un depuis toujours, c'est votre fille, votre soeur, votre cousine, ou votre amie d'enfance. Et hop ! D'un seul coup, elle vous sort ce truc du chapeau : elle serait autiste. Vous, vous n'aviez jamais rien remarqué. Comment ça, elle serait hypersensible au bruit et à la lumière ? Elle aurait des difficultés sociales ? Vos papotages seraient pour elle épuisants ? Vous n'y croyez pas. Ou pas vraiment.

La solution trouvée par la plupart de mes proches est d'ailleurs de ne pas en parler. Mais à ce petit jeu, ils se trouvent parfois pris à leur propre piège. A quelqu'un qui me connaît depuis toujours, qui donc évite soigneusement le sujet et me faisait remarquer que j'avais ENCORE confondu ma droite et ma gauche, j'ai pu répondre, triomphante : ah oui, mais maintenant je sais pourquoi !

Comment expliquer que cet autisme ait pu passer inaperçu ? Tout d'abord, l'autisme a longtemps été péjoratif et attribué par les psys à la relation mère-enfant. Un classique : quand on n'a pas d'explication rationnelle, c'est forcément de la faute de la mère. C'est tellement pratique ! Même la grande Françoise Dolto s'y est laissé aller. De plus, le syndrome d'Asperger n'est pas connu depuis très longtemps, et on ne savait pas le diagnostiquer chez les filles/femmes. On disait d'ailleurs, c'était bien pratique, que c'était un truc de bonshommes. Jusqu'où va se nicher le sexisme !

Une des spécificités de l'autisme féminin, c'est la capacité d'imitation des fillettes et des femmes autistes, qui sont animées d'un grand désir de se fondre dans la masse et de passer inaperçues, de faire comme tout le monde. Je m'y reconnais complètement. Et c'est épuisant !

Mais surtout, pour savoir qu'on n'est pas comme tout le monde, encore faut-il pour en prendre conscience, pouvoir comparer. Tant que ce ne sont que des soupçons, une vague sensation d'être décalée comme la mienne jusqu'à ce fameux reportage télévisé, si les proches ne remarquent rien de spécial non plus, il est impossible de s'en rendre compte. On continue juste à s'épuiser pour rentrer dans le moule, puisqu'il n'y a aucune raison valable de ne pas s'y conformer.

Imaginons une personne daltonienne. Il n'y a personne "avec elle" dans son cerveau pour voir ce qu'elle voit. De même, elle n'a aucune possibilité de comparer ce qu'elle voit avec ce que voient les autres. Pour l'autisme, c'est pareil.

Au supermarché, la lumière, le bruit, l'agitation, m'ont toujours épuisée. J'ai toujours cherché à faire mes courses aux heures creuses dans des magasins pas trop grands, pas trop stressants. Mais comme j'ignorais que j'avais une sensiblité particulière à la lumière et au bruit, j'ai toujours fait avec quand il m'arrivait de me retrouver dans un magasin bondé.

La faute au fameux moule.

La différence, c'est que maintenant, je sais que les autres ne perçoivent pas le bruit et la lumière comme moi. Et que j'ai le droit de m'en protéger.

Mais il va me falloir du temps pour adopter les bonnes stratégies... Prise par mégarde à 9h du matin dans un supermarché pris d'assaut bien que nous soyions encore à 72h de Noël, ce n'est qu'en sortant que j'ai songé que j'aurais pu mettre les bouchons d'oreilles et les lunettes de soleil que j'avais pourtant dans mon sac !

Autistiquement vôtre.

PS : (encore...) un article, sur l'autisme féminin cette fois.