Tout comme au coeur du livre de Donna Tartt, il y avait ce petit tableau de Carel Fabritius, dans l'enceinte du Metropolitan Museum, il y a chez Todd Haynes les dioramas du Museum d'Histoire naturelle et la maquette de New York dans le Queen's Museum. Le Musée des Merveilles, c'est le petit livre où Ben a trouvé l'adresse de la librairie Kincaid, c'est ce cabinet de curiosités oublié dans le coeur du Museum, comme une chambre secrète dans le ventre de la baleine.
L'on ne sera guère surpris de savoir que c'est à la suite d'un rêve :
"Un dimanche matin, je remontai vers la lumière, après un rêve lourd et compliqué dont il ne restait rien à part un bourdonnement dans mes oreilles et la douleur d'avoir laissé échapper un objet, perdu à jamais dans quelque crevasse. Et pourtant - au milieu de ce naufrage abyssal, de câbles rompus, de fragments égarés et irrécupérables - une phrase sortait du lot, tictaquant dans l'obscurité comme une bande de défilement de texte qui se déroulerait en bas d'un écran de télévision : Hobart § Blaxkwell. Appuie sur la sonnette verte.Ce qui est merveilleux aussi, c'est que je retrouve ici les mêmes sensations que j'avais éprouvées avec mon rêve de l'avenue Lexington, suscitant les mêmes interrogations quand j'avais retrouvé le nom dans le livre : était-ce un vrai souvenir ou bien une pure création onirique ? Dans les deux cas, il s'agit bien d'une remémoration : lors de l'attentat terroriste, il avait retrouvé le vieux Blackwell (Welty) grièvement blessé dans les décombres d'une salle, il lui avait tenu compagnie ; Welty lui avait dit de prendre le tableau puis lui avait donné sa bague en or ornée d'une pierre sculptée, en lui disant ces mots : Hobart § Blaxkwell. Appuie sur la sonnette verte. Ce sont ceux-ci qui avaient resurgi lors du rêve.
J'étais allongé et fixais le plafond, sans la moindre envie de bouger. Les mots étaient aussi clairs et précis que si quelqu'un me les avait tendus, tapés sur un bout de papier. Pourtant - et c'était merveilleux - un pan de mémoire s'était ouvert et surnageait avec eux comme une de ces boulettes de papier de Chinatown qui grossissent pour devenir des fleurs quand on les laisse tomber dans un verre d'eau." (p. 119)
Theo Decker a retrouvé l'adresse sur l'annuaire et s'est rendu, seul, 10ème Rue Ouest dans Greenwich Village (le quartier de New York où chanta Camille en octobre).
L'errance de Theo ressemble fort à l'errance de Ben, le petit garçon sourd dans le film de Haynes : tous les deux parviennent seuls par le bus à New York, à la gare routière de Port Authority (dans le film, un panneau annonce une prochaine modernisation). Étrangement, nous retrouvons aussi le thème du désert mis en évidence dans les cinq extraits Lexington : "Quand j'ai fini par trouver la 10ème Rue Ouest, déserte, je l'ai arpentée en comptant les numéros." Et plus loin : "Greenwich Village était presque vide à part deux hommes vaseux qui donnaient l'impression de s'être battus toute la nuit, et une femme aux cheveux ébouriffés qui promenait un teckel en direction de la 6ème Avenue. C'était un peu bizarre d'être seul dans Greenwich Village (...)."
Et ce que découvre Theo en risquant un regard dans la boutique, c'est bien le fouillis hétéroclite des cabinets de curiosités :
"A travers la vitrine poussiéreuse j'ai vu des chiens et des chats en porcelaine, du cristal poussiéreux, lui aussi, de l'argent terni, des chaises anciennes et des canapés tapissés de vieux brocarts jaunâtres, une cage à oiseaux raffinée en faïence, des obélisques miniatures en marbre posées sur un guéridon en marbre également, et deux cacatoès en albâtre. C'était tout à fait le genre de boutique que ma mère aurait aimé - pleine à craquer, un peu délabrée, avec des piles de vieux livres par terre."*Pour conclure cet antépénultième article, une dernière curiosité. L'un des écrivains que j'ai désignés comme "écrivains de la coïncidence" n'est autre que le New Yorkais Paul Auster (j'ai beaucoup parlé de lui dans les premiers mois de ce projet Heptalmanach). Alors l'idée m'est venue tout à coup de googliser "Auster + Lexington Avenue". L'avenue apparaît dans plusieurs ouvrages, mais singulièrement dans Seul dans le noir :
J'y retrouve mon année-fétiche, 1967, et deux autres occurrences du nombre sept : "Miriam qui avait alors sept ans", "mais Betty avait sept ans de plus que moi."Il se trouve aussi que Le Musée des Merveilles est le septième long métrage de Todd Haynes.