Magazine Journal intime

9/1/2018 : je viens de retrouver ces textes que j'ai écrits en 2014, chais pas où, durant mon atelier d'écriture à Paris et mon stage à Salzinnes, apparemment,, mais je vais les relire

Publié le 09 janvier 2018 par Anaïs Valente

Paris

Paris ma jolie

étoffes qui entortillent

couleurs, saveurs, odeurs

m'éveillent à ta vie

Paris ma bénie

encens qui me titille

quartier exotique quartier chic

senteurs qui vrillent mes papilles

Paris ma chérie

serpent de pavés à mes pieds

vendeurs rabougris au fond de leur bouquinerie

croissant fondant et beurre maudit

Paris ma vie

toujours dans mon esprit

t'aimer, te vivre, te dévorer

avec parcimonie

Paris ma folie

combien de morts dans ta PJ

le beau Bruno, où est-il parti ?

Mes pieds, mon dos et ma vessie

ne te disent pas merci

Paris mon ici

et maintenant, moments choisis

tes passages tes cachettes tes secrets

m'inspirent et m'expirent

Paris mon éclaircie

point de soleil

oh et puis si

il est partout, ferme les yeux

là, tu le sens, et là aussi

Paris ma fille

viens contre moi

encore plus près

et la voilà qui s'est endormie...

Questions existentielles parisiennes :

Pourquoi ne vend-on des couques suisses qu'en Belgique ?

Pourquoi les ambulances parisiennes crient-elles « c'est foutu », alors que les namuroises crient « tiens bon » ?

Cinquième étage

Me voilà au cinquième étage. J'ai passé douze ans au cinquième étage. Mais à mon âge, keske c'est haut, le cinquième étage...

Je vois mon petit cabinet de toilette à l'ancienne. Trop choupinou.

Je vois la cheminée en fonte. Superbe. Une grille. Vais-je entendre les ébats nocturnes de mes voisins du dessus ?

Je vois une terrasse. Aaaaah, une terrasse. Au cinquième. J'y cours, avec mon appareil. Une terrasse. Je sors, je mitraille. Vertige. Je rentre. Je trébuche. Je catapulte mon appareil dans le vitrage. Sain et sauf. Une terrasse. Je bondis de joie, tel un gosse le matin de Noël. Et je ressors, pour photographier encore et encore...

Je t'écris de Paris

Je t'écris de Paris. Endormie. 6 heures du mat j'ai des frissons, comme disait la chanson. Le soleil dort encore. Une migraine me ronge les neurones. L'abus d'alcool colombien leur est nuisible. 6 heures du mat à Paris. Que se passe-t-il ? Les travailleurs émergent. Les éboueurs sont en plein taf. Les prostituées pointent la fin de leur journée. Les cafés commencent à se préparer.

Je t'écris de Paris. Assoupie. 7 heures du mat, envie d'un bonbon. J'écris Paris. Écrire Paris à Paris, c'est cliché. Mais c'est bon, comme un bonbon. Du miel. Dans mon bonbon. Du fiel dans mon stylo. Envie d'écrire un homme qui tranche des bides, se repaît des entrailles qui dégringolent sur le sol. On va encore me traiter de folle. J'écris un SDF, c'est bien aussi un SDF. Puis je m'assoupis.

Je t'écris de Paris. Blottie. Encore au lit. 8 heures du mat. Soleil levé. Par la fenêtre, des géraniums me saluent. Une vieille dame va venir les saluer, les arroser, je le sens je le sais, elle viendra à petits pas, puis me racontera son Paris. Celui de la guerre. De l'après-guerre. Paris détruite. Paris reconstruite. Paris revit. Paris folie. Centenaire, ma mémère. Denise Grey en puissance. Bon, toujours personne au balcon, je vais me doucher.

Je t'écris de Paris. Éblouie. 9 heures du mat, je monte le son. L'odeur de café monte jusqu'à ma porte. Le boire, jamais. Mais le humer, à chaque instant s'il vous plait. Sur le balcon, enveloppée dans ma seule serviette de bain, je photographie la vie.

J'ai faim.

Claire n'est pas majeure. Et pourtant elle part. Demain. A la grande ville, diraient certains. Elle a natté ses longs cheveux noirs et mis sa tenue de scène, pour le plaisir de se plonger déjà dans l'avenir qui l'attend. Sous sa robe blanche vaporeuse de danseuse, elle est totalement nue. Liberté. Liberté chérie, si difficilement gagnée. Au prix de quel effort. Ses pieds nus profitent de ce rare moment de liberté : n'être pas enserrés dans des chaussures douloureusement satinées. Ses orteils pointure 38 se trémoussent. Ils frétillent d'impatience. Ils connaissent leur avenir. Radieux, fiévreux, joyeux. Tandis qu'elle se déplace et remplit sa malle, le voilage de sa robe caresse ses jambes musclées et ses fesses rebondies juste ce qu'il faut. Elle jette, pêle-mêle, ses dessous, ses robes, ses manteaux, ses bottes et ses chapeaux. Elle ne réfléchit pas trop. Peut-être se débarrassera-t-elle directement de ses frusques à son arrivée. Elle ignore encore ce que doit porter un petit rat. Elle se tourne vers son vieil ours en peluche défraîchie, le touche de son long doigt blanc peint de coquelicot et se laisse envahir par la nostalgie. Elle ne l'emmène pas avec elle. Demain, elle quitte son enfance. Elle quitte Hubert l'ours bougon, l'ours réconfort, l'ours trop vieux déjà. Dans sa petite malle, elle glisse sa collection de chaussons, ses justaucorps, ses tutus. Elle ferme les serrures cuivrées du bagage de ses bras minces, les dépose dans le coin de sa chambre, s'assied sur son lit défait, clôt ses yeux et sourit d'aise : demain, tout sera différent. Elle se couche, étend ses longues jambes, pose ses mains sur son ventre plat. Elle est si calme qu'on la croirait morte. A l'intérieur, elle est loin de l'être. Un volcan. Seul le frémissement de ses paupières pourrait la trahir. Elle se tourne, adopte une position foetale, ceint ses jambes de ses bras, laisse le tissu de sa robe la recouvrir, et, tandis que sa tresse glisse doucement le long de son cou, elle glisse dans le sommeil et la nuit qui la séparent de demain.

Je lis les photos, je les dévore, je les décrypte. Je lis les romances aussi, et parfois la poésie. Je lis Paris qui m'héberge depuis trois ans déjà. Je ne choisis jamais mes lectures, elle s'imposent à moi. Elle me narguent jusqu'à ce que je les remarque. L'autre samedi, celui de la pleine lune, j'ai presque trébuché sur ces Fleurs du mal, pour y découvrir cette splendeur « là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Au fil de mes découvertes, je les installe donc, en piles instables, de part et d'autre de la cheminée de marbre noir. Si la cheminée s'enflamme, ils seront les premiers à périr. Un risque. Tout est risque. Le plaisir est partout, dans une citation qui bouleverse, celle des Fleurs du mal, dans une petite souris suicidaire, qui a bouleversé le petit rat qui vit en moi, dans une traversée spatio-temporelle qui rapproche les âmes, et puis dans ce que je crée, dans ce que je m'invente. Je prends mon pied, lui qui fait mon métier. Je retiens peu mes livres, j'ai une mémoire de petite souris, encore elle, alors je les ausculte régulièrement, dans leur équilibre fragile. Parfois, j'en prends un au hasard, au risque de faire basculer les tours jumelles. Et je le relis. Et je le revis. J'écris partout, sur tout, sur rien du tout. Une tranche de rien, ça peut combler une vie. Ou être écrit. J'écris entourée de mes livres. De mes écrits. De mes chaussons de satin blanc aussi. Ils me rappellent qu'accoucher d'un écrit est parfois aussi difficile qu'accoucher d'une chorégraphie. J'écris sur des feuilles volantes, que j'égare sur le sol du salon. Le parquet en est jonché. Mon chat Molière aime les réchauffer de sa fourrure blonde et brune dont sort un parfum si doux... non, je plagie ! Il aime juste les réchauffer, et y aiguiser ses griffes. J'écris à la plume, légère, vaporeuse comme mes tenues de scène. Avant d'écrire, j'écris. Après avoir écrit, j'écris. Parfois, entre écrire et écrire, je dors, je mange, je bois, je déambule dans Paris. De l'inutile, qui parfois me nourrit. Qui souvent nourrit l'écrit. Mes écrits s'entassent dans les tiroirs de mon vieux secrétaire d'ébène. Ils attendent. Ils vous attendent. J'espère que vous les attendez.

Presque vingt heures déjà. Pourquoi les journées s'écoulaient-elles si vite ? Pourquoi la nuit allait-elle tout envahir si bientôt ? Pourquoi l'éternité ne pouvait-elle être faite que de journées ensoleillées ? Il se sentait philosophe, ce soir. Il se sentait plutôt anxieux, comme chaque soir à l'approche de vingt heures. Il traversa rapidement le passage Jouffroy. Le lanterneau laissait encore passer un faible rai de lumière, alors que les lanternes au gaz venaient d'être mises en fonction par l'allumeur de réverbères. Bientôt, les ampoules allaient remplacer le gaz, et l'allumeur perdrait son travail. Le progrès, c'était le progrès.

Il progressa rapidement, tandis qu'une dernière éclaircie traversait la verrière, éblouissant les parisiens pressés. C'est alors qu'il sentit le premier malaise. Il sortit du passage, heurtant une demoiselle en robe aubergine, qui ronchonna quelques reproches, et se précipita vers la brasserie Zéphyr. De loin, il repéra le mot SETTELOIT, dont le reflet dans le miroir l'invitait à descendre aux toilettes. Il était sauvé. Ou presque. Le malaise s'accentuant, au point d'en être douloureux, il courut presque jusqu'à l'escalier qui le mènerait à son refuge, près des toilettes. A côté de la porte ornée d'une photo féminine, face à celle à photo masculine, s'ouvrait une toute petite porte, à hauteur d'épaule, décorée d'un vitrail couleur soleil. Il entra et la referma derrière lui violemment, puis poussa les trois verrous, qui grincèrent doucement. Dans cette pièce unique contenant un lit de métal, la luminosité était quasi imperceptible. Aucune fenêtre, aucun vitrage, aucun miroir. Il ne pouvait plus se voir. Seule l'ombre légère projetée au sol à travers le vitrail doré lui rappela qu'il était enfin en sécurité. Il s'assit sur son lit, tremblant de douleur, ses yeux lançant des éclairs. Il gratta une allumette et vérifia l'heure à sa montre gousset. Vingt heures vingt-trois. Dans sept minutes, la transformation commencerait. A peine s'il distinguait, à la lumière de la flamme en fin de vie, les quelques poils canins qui commençaient à envahir ses mains. A peine si ses canines commençaient à être douleur. A peine si ses paupières se faisaient plus fines. A peine si sa truffe était plus sensible. Sept minutes encore. Il s'attacha au lit d'acier au moyen de grosses chaînes puis attendit.

Il ne faisait que ça. Attendre.

Attendre la nuit infernale. Attendre la libération. Attendre huit heures.

Telle était sa vie.

Il se coucha en chien de fusil et attendit le matin.

Stage 2014 Province, écriture et matières

L'envol

J'étais là, je t'ai vue, ma beauté, mon amour. Tu m'attendais assise sur notre banc. Ton regard volait d'un arbre à l'autre, d'un moineau à l'autre, d'un nuage à l'autre.

J'étais là, je t'ai vue passer ton doigt dans ta chevelure, l'y tortiller pour former une de ces boucles que j'aime tant lorsque, dans notre lit, après l'amour, j'y enfouis mon visage.

J'étais là, je t'ai vue lisser ta robe, vérifier qu'elle ne remontait pas trop haut, afin de respecter ces convenances qui t'importent tant.

Je t'ai vue scruter l'horloge du clocher, attendant dix-sept heures fébrilement.

J'étais là depuis si longtemps mon cœur. J'ai tout vu de toi. Tout revu. Tes yeux rieurs lorsque je t'ai offert ton premier baiser. Tes lèvres tremblantes quand je me suis agenouillé. Ton rire lorsque tu t'es précipitée en chantant « oui je le veux ». Tes éclats de bonheur au quotidien, après une balade, un déjeuner au bord du ruisseau, ou un simple je t'aime murmuré au coin de l'oreille.

J'ai vu ton bonheur dégouliner à travers tes paupières lorsqu'Emma s'est fait une place au chaud au creux de ton ventre.

J'étais là, je t'ai vue. Mais tu ne m'as pas vu.

Tu ne m'as pas vu te voir une dernière fois. Me remplir de toi. Tenter de m’écœurer de toi, en vain.

Tu ne m'as pas vu m'éloigner à regret, imaginant ta solitude, ton anxiété de ne pas me voir te rejoindre sur notre banc.

Tu n'as pas vu mes remords d'avoir gâché ton existence, la nôtre. D'avoir ruiné notre avenir. Explosé. Détruit. Ils appellent cela la crise. Je l'appelle l'anéantissement. De nous, il ne reste que nous, mon cœur, rien d'autre. Je ne peux m'en contenter. Je ne peux t'offrir cette vie de misère sociale et financière dans laquelle je t'ai plongée malgré moi.

Je t'ai vue mais tu ne m'as pas vu pleurer. Tu mérites mieux, tellement mieux. Emma méritera tellement mieux, petite fée qui croît en toi. Moi aussi je crois en toi. C'est pour vous que je m'envole. Quitter ce monde. T'offrir le monde par mon départ, ma belle.

L'assurance vie vous mettra à l'abri durant quelques années au moins. Qu'elles vous soient les plus belles possible, empreintes du souvenir de ce jour où je vous ai quittées et sauvées à la fois.

Ne cherche pas à me détacher de la corde à laquelle tu me trouveras, ne la blâme pas, elle n'est que salvatrice.

Vole, mon cœur, vole, et souviens-toi de notre bonheur passé avec la joie au cœur, pour Emma, pour toi, pour nous.

Londres, dimanche 20 octobre 1929.

Paris

Paris ma jolie

étoffes qui entortillent

couleurs, saveurs, odeurs

m'éveillent à ta vie

Paris ma bénie

encens qui me titille

quartier exotique quartier chic

senteurs qui vrillent mes papilles

Paris ma chérie

serpent de pavés à mes pieds

vendeurs rabougris au fond de leur bouquinerie

croissant fondant et beurre maudit

Paris ma vie

toujours dans mon esprit

t'aimer, te vivre, te dévorer

avec parcimonie

Paris ma folie

combien de morts dans ta PJ

le beau Bruno, où est-il parti ?

Mes pieds, mon dos et ma vessie

ne te disent pas merci

Paris mon ici

et maintenant, moments choisis

tes passages tes cachettes tes secrets

m'inspirent et m'expirent

Paris mon éclaircie

point de soleil

oh et puis si

il est partout, ferme les yeux

là, tu le sens, et là aussi

Paris ma fille

viens contre moi

encore plus près

et la voilà qui s'est endormie...

Questions existentielles parisiennes :

Pourquoi ne vend-on des couques suisses qu'en Belgique ?

Pourquoi les ambulances parisiennes crient-elles « c'est foutu », alors que les namuroises crient « tiens bon » ?

Cinquième étage

Me voilà au cinquième étage. J'ai passé douze ans au cinquième étage. Mais à mon âge, keske c'est haut, le cinquième étage...

Je vois mon petit cabinet de toilette à l'ancienne. Trop choupinou.

Je vois la cheminée en fonte. Superbe. Une grille. Vais-je entendre les ébats nocturnes de mes voisins du dessus ?

Je vois une terrasse. Aaaaah, une terrasse. Au cinquième. J'y cours, avec mon appareil. Une terrasse. Je sors, je mitraille. Vertige. Je rentre. Je trébuche. Je catapulte mon appareil dans le vitrage. Sain et sauf. Une terrasse. Je bondis de joie, tel un gosse le matin de Noël. Et je ressors, pour photographier encore et encore...

Je t'écris de Paris

Je t'écris de Paris. Endormie. 6 heures du mat j'ai des frissons, comme disait la chanson. Le soleil dort encore. Une migraine me ronge les neurones. L'abus d'alcool colombien leur est nuisible. 6 heures du mat à Paris. Que se passe-t-il ? Les travailleurs émergent. Les éboueurs sont en plein taf. Les prostituées pointent la fin de leur journée. Les cafés commencent à se préparer.

Je t'écris de Paris. Assoupie. 7 heures du mat, envie d'un bonbon. J'écris Paris. Écrire Paris à Paris, c'est cliché. Mais c'est bon, comme un bonbon. Du miel. Dans mon bonbon. Du fiel dans mon stylo. Envie d'écrire un homme qui tranche des bides, se repaît des entrailles qui dégringolent sur le sol. On va encore me traiter de folle. J'écris un SDF, c'est bien aussi un SDF. Puis je m'assoupis.

Je t'écris de Paris. Blottie. Encore au lit. 8 heures du mat. Soleil levé. Par la fenêtre, des géraniums me saluent. Une vieille dame va venir les saluer, les arroser, je le sens je le sais, elle viendra à petits pas, puis me racontera son Paris. Celui de la guerre. De l'après-guerre. Paris détruite. Paris reconstruite. Paris revit. Paris folie. Centenaire, ma mémère. Denise Grey en puissance. Bon, toujours personne au balcon, je vais me doucher.

Je t'écris de Paris. Éblouie. 9 heures du mat, je monte le son. L'odeur de café monte jusqu'à ma porte. Le boire, jamais. Mais le humer, à chaque instant s'il vous plait. Sur le balcon, enveloppée dans ma seule serviette de bain, je photographie la vie.

J'ai faim.

Claire n'est pas majeure. Et pourtant elle part. Demain. A la grande ville, diraient certains. Elle a natté ses longs cheveux noirs et mis sa tenue de scène, pour le plaisir de se plonger déjà dans l'avenir qui l'attend. Sous sa robe blanche vaporeuse de danseuse, elle est totalement nue. Liberté. Liberté chérie, si difficilement gagnée. Au prix de quel effort. Ses pieds nus profitent de ce rare moment de liberté : n'être pas enserrés dans des chaussures douloureusement satinées. Ses orteils pointure 38 se trémoussent. Ils frétillent d'impatience. Ils connaissent leur avenir. Radieux, fiévreux, joyeux. Tandis qu'elle se déplace et remplit sa malle, le voilage de sa robe caresse ses jambes musclées et ses fesses rebondies juste ce qu'il faut. Elle jette, pêle-mêle, ses dessous, ses robes, ses manteaux, ses bottes et ses chapeaux. Elle ne réfléchit pas trop. Peut-être se débarrassera-t-elle directement de ses frusques à son arrivée. Elle ignore encore ce que doit porter un petit rat. Elle se tourne vers son vieil ours en peluche défraîchie, le touche de son long doigt blanc peint de coquelicot et se laisse envahir par la nostalgie. Elle ne l'emmène pas avec elle. Demain, elle quitte son enfance. Elle quitte Hubert l'ours bougon, l'ours réconfort, l'ours trop vieux déjà. Dans sa petite malle, elle glisse sa collection de chaussons, ses justaucorps, ses tutus. Elle ferme les serrures cuivrées du bagage de ses bras minces, les dépose dans le coin de sa chambre, s'assied sur son lit défait, clôt ses yeux et sourit d'aise : demain, tout sera différent. Elle se couche, étend ses longues jambes, pose ses mains sur son ventre plat. Elle est si calme qu'on la croirait morte. A l'intérieur, elle est loin de l'être. Un volcan. Seul le frémissement de ses paupières pourrait la trahir. Elle se tourne, adopte une position foetale, ceint ses jambes de ses bras, laisse le tissu de sa robe la recouvrir, et, tandis que sa tresse glisse doucement le long de son cou, elle glisse dans le sommeil et la nuit qui la séparent de demain.

Je lis les photos, je les dévore, je les décrypte. Je lis les romances aussi, et parfois la poésie. Je lis Paris qui m'héberge depuis trois ans déjà. Je ne choisis jamais mes lectures, elle s'imposent à moi. Elle me narguent jusqu'à ce que je les remarque. L'autre samedi, celui de la pleine lune, j'ai presque trébuché sur ces Fleurs du mal, pour y découvrir cette splendeur « là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Au fil de mes découvertes, je les installe donc, en piles instables, de part et d'autre de la cheminée de marbre noir. Si la cheminée s'enflamme, ils seront les premiers à périr. Un risque. Tout est risque. Le plaisir est partout, dans une citation qui bouleverse, celle des Fleurs du mal, dans une petite souris suicidaire, qui a bouleversé le petit rat qui vit en moi, dans une traversée spatio-temporelle qui rapproche les âmes, et puis dans ce que je crée, dans ce que je m'invente. Je prends mon pied, lui qui fait mon métier. Je retiens peu mes livres, j'ai une mémoire de petite souris, encore elle, alors je les ausculte régulièrement, dans leur équilibre fragile. Parfois, j'en prends un au hasard, au risque de faire basculer les tours jumelles. Et je le relis. Et je le revis. J'écris partout, sur tout, sur rien du tout. Une tranche de rien, ça peut combler une vie. Ou être écrit. J'écris entourée de mes livres. De mes écrits. De mes chaussons de satin blanc aussi. Ils me rappellent qu'accoucher d'un écrit est parfois aussi difficile qu'accoucher d'une chorégraphie. J'écris sur des feuilles volantes, que j'égare sur le sol du salon. Le parquet en est jonché. Mon chat Molière aime les réchauffer de sa fourrure blonde et brune dont sort un parfum si doux... non, je plagie ! Il aime juste les réchauffer, et y aiguiser ses griffes. J'écris à la plume, légère, vaporeuse comme mes tenues de scène. Avant d'écrire, j'écris. Après avoir écrit, j'écris. Parfois, entre écrire et écrire, je dors, je mange, je bois, je déambule dans Paris. De l'inutile, qui parfois me nourrit. Qui souvent nourrit l'écrit. Mes écrits s'entassent dans les tiroirs de mon vieux secrétaire d'ébène. Ils attendent. Ils vous attendent. J'espère que vous les attendez.

Presque vingt heures déjà. Pourquoi les journées s'écoulaient-elles si vite ? Pourquoi la nuit allait-elle tout envahir si bientôt ? Pourquoi l'éternité ne pouvait-elle être faite que de journées ensoleillées ? Il se sentait philosophe, ce soir. Il se sentait plutôt anxieux, comme chaque soir à l'approche de vingt heures. Il traversa rapidement le passage Jouffroy. Le lanterneau laissait encore passer un faible rai de lumière, alors que les lanternes au gaz venaient d'être mises en fonction par l'allumeur de réverbères. Bientôt, les ampoules allaient remplacer le gaz, et l'allumeur perdrait son travail. Le progrès, c'était le progrès.

Il progressa rapidement, tandis qu'une dernière éclaircie traversait la verrière, éblouissant les parisiens pressés. C'est alors qu'il sentit le premier malaise. Il sortit du passage, heurtant une demoiselle en robe aubergine, qui ronchonna quelques reproches, et se précipita vers la brasserie Zéphyr. De loin, il repéra le mot SETTELOIT, dont le reflet dans le miroir l'invitait à descendre aux toilettes. Il était sauvé. Ou presque. Le malaise s'accentuant, au point d'en être douloureux, il courut presque jusqu'à l'escalier qui le mènerait à son refuge, près des toilettes. A côté de la porte ornée d'une photo féminine, face à celle à photo masculine, s'ouvrait une toute petite porte, à hauteur d'épaule, décorée d'un vitrail couleur soleil. Il entra et la referma derrière lui violemment, puis poussa les trois verrous, qui grincèrent doucement. Dans cette pièce unique contenant un lit de métal, la luminosité était quasi imperceptible. Aucune fenêtre, aucun vitrage, aucun miroir. Il ne pouvait plus se voir. Seule l'ombre légère projetée au sol à travers le vitrail doré lui rappela qu'il était enfin en sécurité. Il s'assit sur son lit, tremblant de douleur, ses yeux lançant des éclairs. Il gratta une allumette et vérifia l'heure à sa montre gousset. Vingt heures vingt-trois. Dans sept minutes, la transformation commencerait. A peine s'il distinguait, à la lumière de la flamme en fin de vie, les quelques poils canins qui commençaient à envahir ses mains. A peine si ses canines commençaient à être douleur. A peine si ses paupières se faisaient plus fines. A peine si sa truffe était plus sensible. Sept minutes encore. Il s'attacha au lit d'acier au moyen de grosses chaînes puis attendit.

Il ne faisait que ça. Attendre.

Attendre la nuit infernale. Attendre la libération. Attendre huit heures.

Telle était sa vie.

Il se coucha en chien de fusil et attendit le matin.

Stage 2014 Province, écriture et matières

L'envol

J'étais là, je t'ai vue, ma beauté, mon amour. Tu m'attendais assise sur notre banc. Ton regard volait d'un arbre à l'autre, d'un moineau à l'autre, d'un nuage à l'autre.

J'étais là, je t'ai vue passer ton doigt dans ta chevelure, l'y tortiller pour former une de ces boucles que j'aime tant lorsque, dans notre lit, après l'amour, j'y enfouis mon visage.

J'étais là, je t'ai vue lisser ta robe, vérifier qu'elle ne remontait pas trop haut, afin de respecter ces convenances qui t'importent tant.

Je t'ai vue scruter l'horloge du clocher, attendant dix-sept heures fébrilement.

J'étais là depuis si longtemps mon cœur. J'ai tout vu de toi. Tout revu. Tes yeux rieurs lorsque je t'ai offert ton premier baiser. Tes lèvres tremblantes quand je me suis agenouillé. Ton rire lorsque tu t'es précipitée en chantant « oui je le veux ». Tes éclats de bonheur au quotidien, après une balade, un déjeuner au bord du ruisseau, ou un simple je t'aime murmuré au coin de l'oreille.

J'ai vu ton bonheur dégouliner à travers tes paupières lorsqu'Emma s'est fait une place au chaud au creux de ton ventre.

J'étais là, je t'ai vue. Mais tu ne m'as pas vu.

Tu ne m'as pas vu te voir une dernière fois. Me remplir de toi. Tenter de m’écœurer de toi, en vain.

Tu ne m'as pas vu m'éloigner à regret, imaginant ta solitude, ton anxiété de ne pas me voir te rejoindre sur notre banc.

Tu n'as pas vu mes remords d'avoir gâché ton existence, la nôtre. D'avoir ruiné notre avenir. Explosé. Détruit. Ils appellent cela la crise. Je l'appelle l'anéantissement. De nous, il ne reste que nous, mon cœur, rien d'autre. Je ne peux m'en contenter. Je ne peux t'offrir cette vie de misère sociale et financière dans laquelle je t'ai plongée malgré moi.

Je t'ai vue mais tu ne m'as pas vu pleurer. Tu mérites mieux, tellement mieux. Emma méritera tellement mieux, petite fée qui croît en toi. Moi aussi je crois en toi. C'est pour vous que je m'envole. Quitter ce monde. T'offrir le monde par mon départ, ma belle.

L'assurance vie vous mettra à l'abri durant quelques années au moins. Qu'elles vous soient les plus belles possible, empreintes du souvenir de ce jour où je vous ai quittées et sauvées à la fois.

Ne cherche pas à me détacher de la corde à laquelle tu me trouveras, ne la blâme pas, elle n'est que salvatrice.

Vole, mon cœur, vole, et souviens-toi de notre bonheur passé avec la joie au cœur, pour Emma, pour toi, pour nous.

Londres, dimanche 20 octobre 1929.


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