+ Le festival d'Angoulême expose "Alix", de Jacques Martin ; à cette occasion "Libération" publie un portrait "revisité" du jeune héros gallo-romain, dont les aventures furent publiées dans "Tintin" afin de fournir à ce magazine un alibi culturel. Alix est transformé en jeune député macroniste, bobo et militant gay, marié à son faire-valoir (dessin de Shinzo Keigo).
Le temps semble loin où les intellectuels de gauche accusaient cette série d'entretenir la nostalgie typiquement réac (cf. Nietzsche) de l'empire romain. Le propre de l'idéologie est, comme le vent, de tourner.
+ Les spécialistes de la BD s'accordent à voir en Rodolphe Töpffer (1799-1846) un pionnier du genre. Il manque à Töpffer les bulles, employées presque systématiquement dans la BD aujourd'hui. La revue "L'Histoire" a déniché un placard publicitaire québécois, datant de la fin du XVIIIe siècle ; cette affiche couverte de dessins était destinée à promouvoir la candidature à la députation de deux marchands d'origine écossaise.
Cet usage précoce de ballons dans lesquels s'inscrivent dialogues ou descriptions est à rapprocher de l'usage similaire par les caricaturistes britanniques de l'époque, explique l'historien Christian Blais.
+ Beaucoup de bruit pour rien autour des "fake news" : le président E. Macron en
Georges Orwell ne fait pas pour rien du "Ministère de l'Information" l'un des centres névralgiques du pouvoir totalitaire dans "1984".
Le coup de génie politique de Donald Trump est d'avoir récupéré la méfiance de l'opinion publique vis-à-vis des médias, dans un pays où le complotisme est devenu une contre-culture vivace, en réaction à la désinformation des médias.
+ Comme la bande-dessinée est une composante de la culture de masse, vecteur important de propagande, elle est directement concernée. Kamil Plejwaltzsky épingle dans le magazine publicitaire gratuit "Zoo" (n°64 - janvier 2018) "Le Voile noir" (Casterman), BD de Dodo et Cha ; il est reproché à cette BD de contribuer à la désinformation sur le récent conflit syrien :
"Dans la bande-dessinée de Dodo et Cha, la Russie et le gouvernement de Bashar-el-Assad en prennent aussi pour leur grade et sont accusés de bombarder aveuglément les populations civiles, perpétuant ainsi l'idée saugrenue d'une guerre propre. Même si on sait maintenant que les bombes lâchées sur les manifestants syriens au début du conflit provenaient de positions rebelles, la question de s'être fait une opinion trop vite à coup d'idéalisme et de reportages bâclés ne semble pas avoir traversé l'esprit de la scénariste."
+ "Je me fais un pieux devoir de n'avoir jamais lu Céline." Décidément ubuesque, la censure des "Pamphlets" de Louis-Ferdinand Céline ; en effet l'hebdomadaire "Le Point" a décidé de publier dans le cadre d'un "rendez-vous littéraire" (sic) les goûts du grand rabbin de France Haïm Korsia. Que penserait-on d'un athée qui se vanterait de n'avoir jamais lu la Bible ? Que c'est un imbécile pétri de préjugés.
Le grand rabbin avoue son dégoût également de la littérature de Proust (phrases trop longues). Il cite la bande-dessinée, en particulier "Buck Danny", série belge pompée sur la propagande américaine. Cette BD ouvertement raciste (nippophobe) permet de comprendre le mécanisme du racisme ; il n'est ici qu'un des aspects de la culture nationaliste.
Mais il y a longtemps que l'on ne fait plus seulement la guerre (d'où découlent les génocides) au nom de la xénophobie, mais aussi au nom de valeurs prétendument humanistes (liberté, fraternité, égalité) ou de la paix (prétexte inventé par... saint Thomas d'Aquin au moyen-âge).
La série "Buck Danny" mettant en scène la guerre entre les Etats-Unis et le Japon dans l'océan Pacifique sont émaillés d'insultes racistes vis-à-vis des soldats japonais (face de citron, face de coing, de lune, etc.)
+ "France 3" diffuse un long documentaire sur "Charlie-Hebdo", les caricatures de Mahomet et le massacre des dessinateurs : "Charlie-Hebdo, le rire en éclats" (Y. Riou & Ph. Pouchain).
Haché, mélangeant des témoignages récents et des images d'archives, invitant à s'exprimer des intellectuels sans lien direct avec "Charlie-Hebdo" ni la satire (Marcel Gauchet, Raphaël Enthoven, Jean-Noël Jeanneney...), plutôt que d'un documentaire, il s'agit de faire la démonstration que la France est la patrie de la liberté d'expression.
Loin de l'esprit critique défendu par les fondateurs de "Charlie-Hebdo", on est ici proche de la mythomanie laïque et républicaine. Parmi les rares voix discordantes, celle de l'avocat de la Mosquée de Paris, Me Szpiner ; il n'a pas de mal à souligner le caractère démagogique du soutien à "Charlie-Hebdo" des principaux protagonistes de la classe politique; ce soutien constitue l'une des étapes de la récupération de "Charlie-Hebdo".
Au coeur du roman national républicain, la filiation entre "Charlie-Hebdo" et la philosophie des Lumières. En réalité le modèle politique de Voltaire est la monarchie constitutionnelle anglaise et les philosophes des Lumières contestent et critiquent le monopole du clergé catholique, alors encore puissant, non la religion d'une petite minorité dépourvue d'influence. L'islamophobie de Voltaire est anecdotique.
Les caricatures violentes dirigées contre la monarchie de Louis XVI, citées dans le documentaire comme les ancêtres des caricatures de "Charlie-Hebdo", n'ont pas grand-chose à voir avec les philosophes, satiriques mais modérés; la plupart de ces caricatures constituaient un outil de propagande entre les mains d'un gouvernement républicain... terroriste.