20 ans déjà, Claude Erignac

Publié le 07 février 2018 par Observatoiredumensonge

Ils visaient le préfet. Ils ont assassiné un homme.

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Par Maxime Tandonnet

Je l'ai bien connu quand j'étais son tout jeune directeur de cabinet à la préfecture de Versailles. Le rez-de-chaussée de la préfecture des Yvelines, voisine du château, était composé de vastes bureaux intimidants, salons prestigieux, aux murs et plafonds ornés de dorures, aux tapis et meubles anciens, de grandes portes-fenêtres donnant sur un parc.
Erignac, dès notre première rencontre, m'avait impressionné. Son personnage correspondait à ce décors: le pas sûr, l'allure cambrée, mince comme un fil, un visage étroit, allongé, des cheveux grisonnants, raides, coiffés en arrière, des lunettes sévères, le costume sombre tiré à quatre épingles, des chaussures parfaitement cirées. Il s'exprimait d'une voix claire, haute, autoritaire, homme d'action, décideur responsable qui ne se dérobait jamais. Il avait une vision rigoureuse du travail et de l'action: il lui fallait des résultats. Les belles paroles inutiles, la frime, les cérémonies grandiloquentes lui étaient insupportables. Le temps lui paraissait compté : pas une minute ne devait être perdue.
Dans sa mission, il n'avait qu'un mot à la bouche : le service de l'Etat dont il défendait l'autorité. " Si je cède là-dessus, je cède sur tout " avait-il coutume de dire. Un député et président du Conseil général de l'époque, pressenti pour entrer au gouvernement ne l'impressionnait absolument pas. L'Etat, le détenteur de l'autorité républicaine, dans les Yvelines, à deux pas du château de Versailles, c'était lui et personne d'autre. Il n'avait peur de rien ni de personne.
Mais le soir tard, dans son bureau, il écoutait de l'Opéra en travaillant. Dans les moments de relâche, il pouvait se montrer d'une extrême gentillesse et humanité. De religion protestante, croyant et pratiquant, il perdit sa mère pendant son mandat versaillais. Dans le grand couloir qui longe les bureaux de la préfecture, je lui présentais mes condoléances. Après une brève poignée de mains, il me dit : " C'est un au-revoir, pas un adieu. Ma douleur est intime, personnelle. Elle ne doit strictement rien changer pour notre mission ". Il adorait le tennis, le vélo pendant le weekend. Il recevait des intellectuels à sa résidence et aimait leur parler d'histoire. Il était sans prétention leur posait mille questions mais ne donnait jamais de leçon. Erignac aimait passionnément la vie.
Quatre ans plus tard, au lendemain d'un 6 février maudit, un samedi matin, vers 8 heures, je reçois un coup de téléphone d'un proche. " Tu as entendu les actualités ? Le préfet de Corse a été assassiné ! Tu le connaissais n'est-ce pas ?" Je me rue sur la télévision. Je vois mon Erignac étendu par terre, la face contre sol, l'une de ses chaussures noire arrachée. Alors, je me suis effondré, comme jamais peut-être dans toute ma vie. Le sentiment d'injustice et de rage devant la bêtise éternelle et criminelle. Ils visaient le préfet. Ils ont assassiné un homme.

Maxime Tandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République sous Sarkozy, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...


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