Résumé de l’épisode précédent : Notre héros avait proposé des œuvres de son cru pour une exposition de peintures sur les croix et calvaires de Bretagne mais ses travaux n’ont pas été retenus. Pour les récupérer, il se rend à Châtelaudren, charmante petite ville des Côtes d’Armor, et en profite pour visiter l’expo puis assister à la vente aux enchères des œuvres sélectionnées.
Samedi 10 février
10h30 : Découvrant l’exposition, un semblant de modestie et un reste de lucidité me forcent à reconnaître que je ne maîtrise pas aussi bien la couleur, à plus forte raison sur toile, que bien des artistes ayant répondu à l’appel. Malgré ce constat, je mentirais si je disais que ce que je vois m’éblouit par son originalité : il y a de très belles œuvres, certes, qui manifestent un savoir-faire et une maîtrise technique qu’on ne peut qu’admirer, mais il n’y en a que trois qui retiennent vraiment mon attention. La première pour la touche d’humour qu’elle contient : elle représente des korrigans blagueurs qui profitent de la nuit pour déplacer de leur socle les statues du calvaire de Plougastel-Daoulas. La deuxième pour sa simplicité : il s’agit d’une toute petite aquerelle ; cette œuvrette touchante rappelle au visiteur qu’il n’est pas besoin de surcharger un dessin pour qu’il soit beau, bien au contraire. La troisième, enfin, pour son originalité : toutes ces croix de couleurs enchevêtrées les unes dans les autres détonnent au sein de cette expo où prédomine le figuratif. Humour, simplicité, originalité : trois qualités qui, pour moi, font les chefs-d’œuvres.
12h : Attendant l’heure de la vente aux enchères, je me mets en quête d’un lieu où me sustenter. Le premier restaurant vers lequel je me dirige affiche complet : sur les conseils des tenanciers, je me rabats sur une crêperie. J’arrive juste à temps, presque toutes les tables sont déjà réservées, d’autres badauds qui entreront après moi auront moins de chance et quitteront les lieux sous le regard désolé de l’adorable patronne. Je me dis que les restaurateurs de Châtelaudren doivent faire des affaires en or pendant la saison touristique…
12h40 : Tout en dégustant mes crêpes, je capte des bribes de la conversation du vieux couple attablé près de moi : madame et monsieur commentent le palmarès des victoires de la musique, qui, d’après eux, aurait récompensé des rappeurs pas très polis, ce qui leur est une raison suffisante pour sortir une énième fois l’éternelle litanie sur les jeunes d’aujourd’hui qui ne respectent plus rien, sur la discipline qui fiche le camp et tout le tralala. Monsieur va même jusqu’à affirmer qu’on va vers une « décadence de la société » ! De quelle société parlait-il ? De cette société qui a torturé en Algérie, qui a porté le FN à 35%, qui a mis des milliers de personnes à la rue, qui refuse d’accueillir les migrants, qui a pollué l’air, l’eau, la terre, et j’en passe ? Mais pauvre vieux con, cette société-là, on ne peut être que ravi de la voir tomber en décadence ! Voilà ce que j’aurais dû dire à ces « seniors » qui sont au moins les millièmes que je rencontre à dévaluer systématiquement ma génération et à paraître persuadés que la leur était meilleure que toutes les autres ! Mais je préfère m’abstenir car je ne veux pas pourrir l’ambiance chaleureuse et feutrée de la charmante auberge costarmoricaine ; de surcroît, ils ont l’air de faire partie du public qui assistera à la vente aux enchères, ce qui veut dire que je les recroiserai plus tard : inutile de m’en faire détester trop vite…
A suivre.