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À coup de bagosse

Publié le 16 février 2018 par Barbu De Ville @barbudeville

Nous étions au temps des feuilles mortes! De l’autre côté de la rivière du Nord, il y a la forêt à McKenzie avec des arbres aux mille couleurs et leurs feuilles qui tombent partout jusqu’à l’hiver.

Homère Prud’homme était à l’automne de sa vie. Il est l’étranger dans un monde très étrange! Homère a tellement bu que dernièrement à l’hôpital, on lui a enlevé son trou de cul! Il se promène maintenant seul dans son 1 et demi avec un sac à marde sur le côté de son vieux corps. Il n’a jamais vu la beauté de la forêt McKenzie à l’automne, il est trop occupé à vider des caisses de Porter Champlain. Et quand il ne vide pas des caisses de Porter Champlain, il boit du vin chaud. Et quand il n’a plus de vin chaud, il y a la Bagosse à Prud’homme. Il faut mélanger des fruits avec de l’eau, du sucre et de la levure! Une recette qu’il a eu d’un Madelinot!

À coup de bagosse

Il boit pour mourir. Il veut mourir par noyade intérieure. Tellement boire qu’il veut se noyer par en dedans. Le chaos à coup de p’tite frette! Et chaque petite bière vide est une ode à la mort, à la douleur.

Homère Prud’homme est un métronome humain. Il boit au même rythme depuis les 50 dernières années! Il aurait pu, avec toutes ses caisses de 24, rebâtir Rome au complet! Ce n’est pas une mince affaire et comme dirait Jean Perron l’ancien coach du Canadien de Montréal, gagnant d’une coupe Stanley: « Quoi qu’on en dise, Rome ne s’est pas construit en plein jour! » C’est peut-être pour ça qu’Homère était un wézo de nuit!

Malgré le temps qui passe, Homère ira au dépanneur Guibeault au coin de la rue Filion avant le coucher du soleil. Malgré la vie qui le dépasse depuis les 50 dernières années, Homère est devenu vampire avec le temps. Il ne sort de chez lui que la nuit et se cache dans son taudis à l’aube. Il s’est vampirisé lui-même! Il n’est pas fou, au contraire. Il reçoit des cartes de Noël de la part de Champlain pour services rendus!

Il transporte ses caisses de bière vides à pied ou demande l’aide d’un petit garçon, futur Barbu de ville. Il paye le petit garçon à coup de deux trente sous la shot! À l’époque dans le petit Canada le 25 cennes n’existait pas!

Et quand le dépanneur Guilbeault était fermé après 21h, le bonhomme Prud’homme sortait un 2 piasses en papier pour que le petit garçon aille chercher avec son bécycle au siège banane une caisse de 12 au dépanneur Perrette à l’autre boutte de la rue principale pour ainsi réussir à t’nir sa nuitte de wézo de nuit!

Avec ce beau deux piasses en papier, je m’achetais des bonbons mélangés que M. Guilbeault mettait dans un beau sac brun. Des lunes de miel à 5 cennes, des framboises à 1 cenne, des bonnes petites « négresses » à 5 cennes, des lèvres rouges toujours trop fortes à 5 cennes, un chip Dulac à 75 cennes. C’était le bonheur parfait et s’il en existe un il réside dans les pot Masson du dépanneur Guilbeault!

Le petit garçon aimait bien le bonhomme Prud’homme au « brandy nose » car l’homme qui boit ne voulait jamais jouer avec ses fesses. Lui Homère tapotait le cul de ses bières. Il n’avait plus foi en la vie depuis une vie. D’ailleurs son foie était à ses derniers mille…au début de l’hiver 87, il allait mourir. Il a vu son club de hockey, son club, la seule chose qui lui apportait un certain bonheur mis à part la bière, il a vu ses glorieux, son bleu blanc rouge remporter la coupe en 86 avec son capitaine, l’ultime capitaine Bob Gainey avec la coupe au bout de ses bras. Un jeune Casseau fabriquer sa légende, son mythe à coup de pads bruns! Je sais, j’étais là avec lui!

Qu’il soit écrit dans le Grand livre de la vie que j’ai bu ma première bière pendant la série finale du Canadien contre les Flames en 86 à l’âge de 13ans! La coupe de 86 a le goût de la Porter Champlain! Homère aimait ma culture du hockey, ma passion pour la game! Et moi je l’écoutais comme un enfant me parler de Morenz, Moore, Lach, le dieu Maurice Richard, celui qui nous a montré que nous n’étions pas seulement que des frogs, le capitaine Béliveau, les jointures de John Ferguson, le masque de Plante, les épaules de Butch Bouchard, tout ça dans une poésie inégalée!

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Un soir de coupe Stanley, un soir de 23 ième coupe Stanley de notre club, un soir qui appartient entièrement à « Casseau » Patrick Roy, l’homme qui parlait à ses poteaux! Un soir de grande douleur, de grande vérité et de grande joie! Un soir où les ouaouarons sur le bord de la rivière du Nord chantaient au rythme des criquets! En ligne avec le ciel rempli d’étoiles un soir de grande déchirure!Homère: « Un jour tu vas écrire mon histoire Patrick! J’aimerais que tu leur dise que je n’ai pas fait juste boire dans ma vie! J’suis pas juste un alcoolique. Je suis pas juste un trimpe, un soûlon!

Homère aura été la première personne qui aura vu mes textes. Oui, à 13 ans j’écrivais déjà!

Voici pourquoi Homère Prud’homme était un alcoolique au dernier degré! J’ai dans ma mémoire de barbu toute l’histoire depuis longtemps. Entre deux Porter Champlain, Homère du haut de ses 80 ans m’a tout raconté!

En 1936, quelque part à Lachute aux abords de la rivière du Nord, le docteur Prud’homme profite de la fin de journée pour fumer un bon cigare et boire une p’tite Boswell! Il n’est pas souvent chez eux à cause du travail! Et quand il est là c’est comme s’il était ailleurs.

Un soir pas comme les autres, un soir qui vous marque à vie, un soir qu’on dirait que la terre a réellement arrêté de tourner du moins dans le sens du monde, ce vendredi soir-là en rentrant à la maison, Monsieur Homère Prud’homme est rentré dans la maison familiale comme d’habitude, dans son nid douillet, celui de sa femme Ginette et de sa fille petit bébé Amandine! Amandine aux joues rouge, au rire franc, un enfant de deux ans aux allures de Shirley Temple, aux yeux bleu perçants, aux cheveux blonds platine bouclés à l’infini.

Sa gazette n’était pas comme d’habitude sur l’accotoir de son sofa préféré ni ses pantoufles ni sa pipe! La femme de la maison n’était pas dans la cuisine à faire le métier pour lequel elle était née. L’odeur du bon manger chaud n’envahissait pas la pièce! Ce soir là, l’apocalypse avait son nid chez les Prud’homme, elle avait fait son nid dans les belles apparences!

Homère a marché jusqu’à la chambre de bain d’en bas. Il a déposé ses yeux vers le bain et à cet instant il n’y avait plus de plafond, plus de plancher. C’est comme si la maison tournait autour de lui. Il était étourdi! Il aurait pu avoir les cavaliers de l’Apocalypse devant lui et n’aurait pas été plus apeuré.

Amandine, la fille d’Homère est dans le fond du bain. Elle dort pour l’éternité. Homère vient de mourir aussi mais pas cliniquement. Son coeur bat toujours mais c’est une question de mécanique car le bout du coeur qui touche à l’âme lui a éclaté en mille morceaux! Il y a dans la salle de bain Amandine morte et l’âme d’Homère un peu partout sur le plancher!

Ici en tout respect pour le vieux docteur, je vais vous retranscrire ce que j’ai entendu de plus beau et de plus triste dans ma chienne de vie!

Homère: « Ça fait 50 ans aujourd’hui que ma belle Amandine est morte. Cinquante ans pis c’est comme si c’était hier, comme si c’était cet après-midi! J’ai sorti Amandine du bain avec mes deux mains. »

Il me dit ça en me fixant dans les yeux! Comment pourrais-je oublier ce regard?

Homère: « Je me suis assis en indien à terre pis je l’ai bercée. Je l’ai embrassée tendrement pis je me suis excusé de pas être arrivé à temps. Je l’aurais bercée encore aujourd’hui. »

Il pleure doucement avec un cri silencieux dans la gorge. Je débouche une autre Porter Champlain pour lui et une autre pour moi.

Il a bercé sa fille un certain temps mais ne pouvait pas me dire le temps exact car il avait perdu toute notion. Il a par la suite marché vers sa chambre en haut et là, habillée dans sa robe de mariée était pendue au bout d’une corde, accrochée au cadre de porte de chambre, sa femme. Il l’a décrochée de ses mains et l’a déposée dans son lit! Elle est devenue la mariée cadavérique du mardi à jamais dans la mémoire parfaite d’Homère!

Le docteur me disait qu’il buvait jour et nuit depuis cette journée, qu’il était incapable de supporter d’être à jeun! Qu’il voulait mourir à petit feu, qu’il voulait souffrir le plus possible, que pour lui c’était son cheval de bataille, son requiem!

Il a gardé chaque bouchon de bière qu’il a bue depuis ce jour, chaque bouchon. Un vrai métronome ce Homère! Il les gardait pour se rappeler et pour ne pas oublier! Et puis un matin de janvier 87, le docteur Prud’homme est mort dans son sommeil! Il est parti rejoindre sa femme et Amandine dans un monde meilleur qu’on dit. Le propriétaire a découvert le bonhomme deux jours plus tard car ça commençait à sentir dans son logis d’en haut! Tout le méchant était finalement sorti du corps d’Homère!

Pour le fin mot de l’histoire, la femme d’Homère avait écrit une lettre d’adieu mais j’ai décidé de laisser ses mots dans les souvenirs du docteur!

J’ai compris que les bouchons de bière alignés un en arrière de l’autre c’est le chemin qui le séparait de sa petite famille. C’est d’une beauté ridicule, d’une poésie sans fin!

Et pour une fois le bon Dieu a fait une exception. Aux portes du paradis la belle Amandine attendait son papa dans sa robe blanche et à ce moment précis s’est donné le plus beau câlin dans l’histoire de l’infini!

À monsieur Homère Prud’homme.


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