Pour distraire le roi, Madame de Pompadour organise une petite troupe de comédiens choisis parmi ses amis ; la marquise elle-même tient sa place. La petite troupe se présente soit dans le petit théâtre de la cour des Princes, soit dans des théâtres provisoires et démontables installés d'abord dans la Petite Galerie puis dans la cage de l’escalier des Ambassadeurs. Ces petites salles accueillent très peu de spectateurs...
« (…) je soupai dans la ville avec madame d'Esparbès, et madame d'Amblimont, autre cousine de madame de Pompadour. Madame d'Amblimont fut écrire dans sa chambre après souper. Madame d'Esparbès, sous prétexte d'avoir la migraine, se coucha ; je voulus discrètement m'en aller ; mais elle me dit de rester, et me pria de lui lire une petite comédie, nommée ''Heureusement '' (Première pièce de Rochon de Chabannes, composée d'après un conte de Marmontel ), que nous avions jouée ensemble (Il n'y a que deux personnages importants dans cet acte. ), et depuis elle m'appelait son petit cousin ( Madame Lisban et Marthon appellent Lindor « le petit cousin » ).
Mon petit cousin, me dit-elle, au bout de quelques minutes, ce livre m'ennuie ; asseyez-vous sur mon lit et causons ; cela m'amusera davantage. Elle se plaignait du chaud, et se découvrait beaucoup. La tête me tournait, j'étais tout feu ; mais je craignais de l'offenser; je n'osais rien hasarder; je me contentais de baiser ses mains et de regarder sa gorge avec une avidité qui ne lui déplaisait pas, mais qui n'eut pas les suites qu'elle était en droit d'en attendre. Elle me dit plusieurs fois d'être sage, pour me faire apercevoir que je l'étais trop. Je suivis ses conseils à la lettre. Elle souffrait cependant que je la couvrisse de caresses et de baisers, et espérait vainement que je m'enhardirais. Quand elle fut bien sûre de mon imbécillité, elle me dit assez froidement de m'en aller; j'obéis sans répliquer, et ne fus pas plus tôt sorti que je me repentis de ma timidité, et me promis bien de mieux profiter du temps, si l'occasion s'en présentait encore. »
A Paris, loin de la Cour aux mille regards, le bal de l'Opéra, se tient dans une annexe du Palais Royal.
Le Bal de l'Opéra est le plus fameux de tous les bals du Carnaval de Paris et un de ses principaux événements. Il naît le 31 décembre 1715 par ordonnance du régent...
Très vite, le bal de l'opéra devient un lieu de rencontres, de mixité sociale dans une société encore très hiérarchisée. Sous le masque, on peut bavarder et danser, (voire plus...) avec n'importe qui. Grands seigneurs et nobles dames viennent s'y amuser, se mêlant aux bourgeois et gens du commun, dans un joyeux mélange, au milieu des rires et de la musique, dans une cohue des plus tumultueuses.
Grandes dames, filles entretenues, aventuriers d'un soir, joueurs professionnels, grands seigneurs, actrices, escros de haut vol... Tous se mêlent et viennent danser, sous les yeux de ceux réfugiés dans leur loge.
Marie Louise Élisabeth d'Orléans, duchesse de Berry, la fille aînée du Régent, contribue à la vogue des bals de Carnaval à l'Opéra
Marie-Antoinette masquée et incognito accompagnée de son beau-frère le comte d'Artois adore les bals de l'opéra où elle danse des nuits entières.
L'Opéra, haut-lieu du libertinage, est le plus beau vivier de jeunes personnes prêtes à s'offrir aux caprices des gentilshommes.
Les inspecteurs Meusnier ( aussi espion, faussaire et aventurier …) ou Louis Marais, chargés de la police des mœurs, établissent des fichiers sur les dames " de l'allure " ou " du haut ton ", c'est à dire qui sont entretenues à grand prix. Ces rapports concernant le comportement sexuel des filles de l'Opéra et des théâtres, permettent en particulier de contrer les juteuses escroqueries à la paternité visant des célébrités de l'époque. A partir de 1750, il s'agit de chasser les prêtres ..
« Je fus, quelques jours après, au bal de l'Opéra. Une assez jolie fille, appelée mademoiselle Desmarques, m'agaça vivement ; elle me parut charmante ; elle avait formé la plupart des jeunes gens de la cour, et voulut bien se charger de mon éducation; elle me ramena chez elle, où elle me donna de délicieuses leçons , dont on a vu plus haut que j'avais grand besoin : elle les continua pendant quinze jours, au bout desquels nous nous séparâmes. Je voulus lui donner de l'argent; elle le refusa, en me disant que je l'avais payée dans une monnaie si rare à trouver, qu'elle n'avait besoin d'aucune autre. Je revis madame d'Esparbès à Versailles; je lui donnai le bras un soir, en sortant de chez madame de Pompadour, après souper.
Elle voulut me renvoyer dès que je fus dans sa chambre: Un moment, lui dis-je, ma belle cousine; il n'est pas tard: nous pourrions causer. Je pourrais vous lire, si je vous ennuie. Mes yeux brillaient d'un feu qu'elle ne leur avait pas encore vu. Je le veux bien, me dit-elle ; mais à condition que vous serez aussi sage que vous l'avez été la première fois : passez dans l'autre chambre ; je vais me déshabiller ; vous rentrerez quand je serai couchée.
Je revins en effet au bout de quelques minutes. Je m'assis sur son lit sans qu'elle m'en empêchât.
Lisez donc, me dit-elle. — Non; j'ai tant de plaisir à vous voir, à vous regarder, que je ne pourrais voir un mot de ce qui est dans le livre. Mes yeux la dévoraient ; je laissai tomber le livre ; je dérangeai, sans une grande opposition, le mouchoir qui couvrait sa gorge. Elle voulut parler, ma bouche ferma la sienne ; j'étais brûlant : je portai sa main sur la partie la plus brûlante de mon corps ; tout le sien en tressaillit. En me touchant elle me fit faire un effort qui brisa tous les liens qui me retenaient. Je me débarrassai de tout ce qui pouvait cacher la vue d'un des plus beaux corps que j'aie vus dans ma vie ; elle ne me refusa rien , mais mon ardeur excessive abrégea beaucoup ses plaisirs. .Je réparai cela bientôt après, et souvent, jusqu'au point du jour qu'elle me fit sortir avec le plus grand mystère.
Le lendemain, je fus éveillé par le billet suivant : « Comment avez-vous dormi, mon aimable petit cousin? avez-vous été occupé de moi? désirez-vous me revoir? je suis obligée d'aller à Paris pour quelques commissions de madame de Pompadour ; venez prendre du chocolat avec moi avant que je parte, et surtout me dire que vous m'aimez. » Cette attention me charma, et me parut imaginée pour moi. Je me sus bien mauvais gré de n'avoir pas prévenu madame d'Esparbès ; je me donnai à peine le temps de m'habiller, et je courus chez elle. Je la trouvai encore dans son lit, et je me conduisis de manière à prouver que j'étais tout reposé de la dernière nuit. J'étais enchanté; la personne de madame d'Esparbès me plaisait beaucoup, et mon amour-propre était infiniment flatté d'avoir une femme. J'étais assez honnête pour ne le pas dire ; mais on me faisait un plaisir inexprimable de le deviner , et à cet égard elle me donnait toute satisfaction, car elle me traitait de manière à montrer la vérité à tout le monde. Une cocarde où elle avait brodé son nom, que je portais à la revue du roi, publia mon triomphe, qui ne fut pas de longue durée, car elle prit dans le courant de l'été M. le prince de Condé.
Je m'en affligeai, je me choquai, je menaçai ; le tout inutilement. Elle m'envoya mon congé dans toutes les formes, conçu en ces termes :
« Je suis fâchée, monsieur le comte, que ma conduite vous donne de l'humeur. Il m'est impossible d'y rien changer, et plus encore de sacrifier à votre fantaisie les personnes qui vous déplaisent. J'espère que le public jugera des soins qu'elles me rendent avec moins de sévérité que vous. J'espère que vous me pardonnerez, en faveur de ma franchise, les torts que vous me croyez. Beaucoup de raisons, qu'il serait trop long de détailler, m'obligent à vous prier de rendre vos visites moins fréquentes. J'ai trop bonne opinion de vous pour craindre de mauvais procédés d'un homme aussi honnête. J'ai l'honneur d'être, etc. »
Sources : Extraits des Mémoires du Duc de Lauzin ( 1747-1783)