SECONDE NAISSANCE. - L’enfant refusant de s’enkyster, dans les jarrets duquel se pressent déjà le bond de l’adolescence farouche, ne fera rien sans renaître une seconde fois et c’est par là-haut, derrière la maison accroupie et songeuse, seul dans les bois, qu’il découvrira soudain, crac dans le sac, qu’il est lui-même et pas un autre, et tout à coup un nouveau ciel s’ouvre à son front, au-dessus de la canopée, comme un ventre bleu duquel jaillissent des dauphins blancs, et c’est tout interdit qu’il sent en lui monter ce premier désir des Tropiques - il y a donc de la jungle et des tigres en lui, se dit-il et des idées de routes d’eau lui viennent le soir dans son repaire secret où sont déroulés les portulans décalqués à l’encre de Chine sur l’Encyclopédie de son aïeul Emile, père de son père et connaisseur sur le terrain des pyramides de la millénaire Égypte…
Ce lundi 1er janvier 2018.- Je suis vraiment très, très impressionné par la lecture de Bluff, de loin le meilleur livre de David Fauquemberg, dont j’ai salué ce matin la parution avec enthousiasme. Je situe ce roman à la hauteur de l’Atlas d’un homme inquiet de Christoph Ransmayr, en lequel j’avais vu le meilleur livre de l’année 2016. Ce qui m’a impressionné en crescendo est la façon de fondre l’action tout extérieure des pêcheurs et leurs pensées, leurs réflexions et leurs moindres sensations, tout bougeant en même temps jusqu’au pic de l’ouragan. Mon socio, comme il m’appelle, a beaucoup travaillé sur la langue, hors de tout esthétisme, ou plus exactement sur les langues puisqu’il intègre une quantité de mots issus des cultures océaniques, entre autres citations de poèmes ou de sentences morales.
SUR LA POÉSIE. – Je vis là-dedans depuis le début de mon adolescence, disons vers dix ans pour le sentiment, douze ou treize ans pour l’expression verbale de celui-ci, plus intensément vers quatorze ans lorsque j’ai commencé d’apprendre par cœur des centaines puis des milliers de vers rassemblées dans l’anthologie de la Guilde du livre que j’avais trouvée dans la bibliothèque paternelle, avec une première préférence sentimentale pour Lamartine, Alfred de Musset et Verlaine, puis Apollinaire et le Rimbaud des Illuminations, auxquelles je reviens aujourd’hui encore. Or ce n’est que récemment que j’ai compris en quoi cet exercice, qui semblait surtout un exploit sportif à mon entourage, a compté dans mon rapport organique avec la langue, bien avant mon adhésion, vers dix-sept ans, à la poésie, plus charnelle et cérébrale à la fois, d’un René Char, puis à la prose lyrique d’un Jean Genet.
Ce mardi 2 janvier. – Ma bonne amie ayant lu Bluff avant moi, je suis heureux de partager avec elle, comme on dit aujourd’hui, d’échanger à propos d’un beau grand livre. En outre j’ai mêmement échangé avec David dans le courant de la journée, lui disant par mail combien son roman m’impressionne, que je place aussi haut que l’Atlas d’un homme inquiet de Christoph Ransmayr, qu’il m’a dit ensuite (son mail en réponse reconnaissante) avoir découvert grâce à mon blog, alors que lui-même se trouvait dans les mers du Sud.
À PROPOS DE RENÉ CHAR. – La poésie de René Char, découverte en même temps que je lisais La condition poétique de René Ménard, vers dix-sept ans, m’a touché par son caractère à la fois éthique et sensuel, matériel et cérébral, obscur et combatif - non du tout le Char surréaliste à la rhétorique datée et creuse, mais le présocratique des garrigues aux aphorismes héraclitéens et aux fulgurances obliques, le Char des fugues limpides ou des abrupts soudain, de Fureur et mystère à Commune mesure. Ensuite j’ai fait «du Char» à ma façon, dans une suite de fragments que j’ai montré à Georges Anex, notre prof de littérature, qui les a trouvés en effet «très Char», à la fois obscurs et beaux, en me recommandant de «continuer», ce dont je me suis bientôt gardé.
POÉSIE DE LA PROSE. – La poésie de la prose m’est apparu, avant Proust et avec une plus lancinante diffusion érotique, dans les romans de Jean Genet, à commencer par Miracle de la rose, Notre-Dame des fleurs et Pompes funèbres, bien plus que dans son grand poème du Condamné à mort dont la subversion consistait à brasser l’ordure dans la forme la plus conventionnelle, voire académique, d’apparence - mais j’aspirais alors à une forme océanique libérée des carcans comme on la retrouve dans la phrase proustienne – le corps de la poésie mimant alors le dérèglement des sens dans la filiation directe du Rimbaud des Illuminations ou des Chants de Maldoror, avec le trouble et la confusion des sentiments dans laquelle je vivais alors.
POÉSIE ET POLITIQUE. – Il y a du moraliste et du philosophe chez René Char, autant qu’une veine politique dont j’avais souci entre seize et vingt ans, qui me faisait apprécier aussi une revue de tendance communiste au titre explicite d’Action poétique, dont la livraison que j’ai à l’instant entre les mains, datant de 1967, l’année de mes vingt ans, associe quelques poètes vietnamiens, et quelques auteurs français dont la plupart ont disparu, sauf un Franck Venaille dont j’ai suivi le parcours avec attention. Ceci dit, la poésie a toujours exclu, à mes yeux, le discours idéologique de premier degré.
Ce vendredi 5 janvier.- J’étais ce soir un peu fatigué et je m’étais ennuyé à lire deux magazines, l’un de gauche et l’autre de droite, aussi pauvres de substance l’un que l’autre, quand l’idée de lire le dernier Modiano m’est venue, et c’était exactement cela qu’il me fallait à ce moment : ces évocations de rencontres un peu somnambuliques réunies sous le titre de Souvenirs dormants, dont l’évocation remontant à plusieurs décennies m’ont aussitôt rappelé des rencontres que j’ai faites de mon coté et à propos desquelles j’aurais pu écrire moi aussi, par exemple à propos de ces groupes dont parle Modiano, liés au souvenir de Gurdjieff, qui m’ont rappelé diverses rencontres de gens qui eux aussi ont fait partie de ces groupes pratiquant le «travail sur soi», etc.
Je me demandais ce matin comment parler de Paris. Eh bien c’est peut-être comme ça qu’il le faudrait, avec cette espèce de distance un peu magique ou un peu somnambulique propre à Modiano, mais sans «faire du Modiano»…
ESQUISSE POUR UN RÉCIT. – Le DEDANS de la maison est un savoir du cœur à la vie à la mort, on y revient tôt le matin quand on est jeune et tard le soir quand on a vu tout ce qu’il y a DEHORS et qu’on parle à ceux qui ne sont plus.
Il y a des maisons dans le ciel et dans notre maison s’en cache une autre que j’appelle tantôt mon île au Trésor et ma Garabagne ; c’est une soupente interdite à quiconque en ignore le code secret ; là s’entassent les boîtes de papillons et les herbiers, moult préparations alchimiques en bocaux, mes premiers grimoires et les relevés des records toutes catégories de la Compagnie du Ruisseau dont j’ai repris le commandement depuis que notre grand frère va aux filles.
Les garçons de la Maison de Correction, tout en haut du quartier, en ont appris plus que nous, plus tôt et désormais sans pleurs, la rage au sang d’être nés dans les quartiers mal habités et de faire semblant de garder le rang, mais nos cabanes en forêt font bon accueil aux sinistrés du cœur…
Ceux qui ont des souvenirs dormants
Celui qui étant né en 1947, deux ans après Modiano, peut dire «il y a 50 ans » sans affectation particulière / Celle qui a été déportée sans que son ancien amant Alberto M. n’en ait eu vent / Ceux qui ont traversé la France peu après la fin de la guerre et se rappellent les ruines et les impacts de balles dans les murs entre Dole et Auxerre / Celui qui n’a pas souffert sous Ponce Pilate mais en a pas mal bavé à l’école catholique de Jouy-en-Josas dont il a fui plusieurs fois les rigueurs militaires / Celle qui a participé au «travail sur soi» des groupes fondés par Gurdjieff mais à une autre époque et à Chandolin considéré comme le village le plus élevé d’Europe occidentale / Ceux qui volaient des livres dans les années 60 au titre de la révolution permanente / Celui qui a imité la signature de Patrick Modiano pour revendre un de ses romans tiré sur papier à la cuve / Celle qui a connu Jeannette Matignon de Salzmann née Allemand qui lui a transmis son savoir relevant de la gymnastique mystique inspirée par Gurdjieff / Ceux qui retrouvent en eux de nombreux souvenirs dormants à la lecture du dernier livre de Patrick Modiano traduit en norvégien / Celui qui a revendu plusieurs des SP de Modiano au libraire de la rue Legendre avant de les racheter en poche quand il s’est remplumé / Celle qui a pris la tangente le jour où elle devait se présenter à un examen d’économie politique et s’est retrouvée au Lutetia où elle a observé un type en train de lire Le Sabbat de Maurice Sachs / Ceux qui ont découvert Le Bonheur des tristes de Luc Dietrich chez une ancienne amie de Patrick M. à laquelle on attribue (peut-être faussement) le mérite de l’avoir délivré de l’éthéromanie / Celui que son père a dénoncé comme un voyou alors que lui-même venait d’échapper à une arrestation justifiée / Celle qui avec Patrick M. a vécu les barricades de mai 68 dont on se rappelle qu’elles ont inspiré les reportages dans Vogue du futur écrivain alors proche de Françoise Hardy / Ceux qui essayent de bégayer comme Modiano et Sagan sans y parvenir faute de naturel / Celui auquel l’anecdote du type flingué dans le dernier livre de Modiano rappelle son rêve récurrent des années 70 dans lequel il voit remonter en surface le cadavre du Chinois qu’il a immergé dans un étang / Celle qui a consacré une monographie à Raymond Queneau dont le protégé a accepté de lui parler dans un bar de Pise / Ceux qui ont un enregistrement pirate de l’interprétation de L’Aspire-à-cœurs par Régine / Celui qui dans une thèse de sociologie dénonce le manque d’engagement de Modiano qu’il accuse de mettre en scène des collabos sans dire clairement ce qu’il en pense comme on le lui a d’ailleurs reproché à la sortie de Lucien Lacombe ce film ambigu limite facho / Celle qui estime que le Villa triste de Modiano pourrait être comparé à certains égards au Villa Amalia de Pascal Quignard né pour sa part en 1947 / Ceux qui n’ayant rien lu de Patrick Modiano s’estiment plus libres d’en parler en toute objectivité, etc.
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Modiano parle de ses fugues de jeunesse, et ça me rappelle, je ne sais pourquoi, ma propension à arriver une heure en retard à presque tous mes rendez-vous, entre vingt et trente ans. Me rappelle aussi le jour ou au lieu de me présenter à un examen d’économie politique, j’ai pris la tangente et me suis retrouvé à manger du chocolat sur le rocher du Diable, au bord d’une rivière des bois de Rovéréaz…
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Paul Ricoeur parlait des livres comme d’ami proches, souvent plus proches que ses supposés proches amis, et c’est tout à fait la même impression que j’ai par rapport à mes livres et à la plupart de mes supposés amis, à deux ou trois exceptions près que je retrouve avec le même plaisir que je retrouve un bon livre. Ceci dit, je serais tout à fait incapable de dire en quoi consiste la philosophie de Paul Ricoeur.
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Le cadavre sur le tapis, dans Souvenirs dormants, m’évoque naturellement le cadavre du jeune type dont je me suis débarrassé en rêve en 1969 après le meurtre du Chinois au Shanghai, et qui m’a poursuivi des années durant.
HANDKE AUX CHAMPIGNONS. - Commencé de lire le dernier opuscule de Peter Handke, L’Homme qui était fou de champignons, sur Kindle. Tout de suite pris par cette histoire d’un type obsédé par l’argent, quand il était enfant, et qui s’est rapproché de la ville par le commerce des champignons alors qu’il était plutôt un homme des bois, comme je l’ai été à ma façon. Ensuite le récit m’a semblé se délayer et l’ennui m’en a détourné. Poil au nez.
FILMS RADICAUX. - J’ai vu hier soir plusieurs courts métrages de Jean-Marie Straub, également radicaux et ennuyeux, qui nous ont décidés de ne pas faire demain soixante bornes pour assister aux 18 Minutes qu’il a tirées de Gens du lac de Janine Massard. Trop fatigué et pas envie de cautionner ce cinéma si radical qu’il en devient radicalement ennuyeux.
Exemple d’un court métrage radicalement ennuyeux: ce film-tract à la mémoire de jeunes gens en fuite qui se sont électrocutés dans un transformateur, près de Paris, en fuyant des flics si j’ai bien compris - mais le problème est justement qu’on n’y comprend rien sans notice explicative.
Sept séquences montrant en travelling-balai un groupe de maisons en banlieue et ce transformateur, avec sept fois la même surimpression des formules Chaise électrique et Peine de mort.
Oui, et après ?
Ce mercredi 10 janvier. – Les jambes toujours douloureuses, mais le moral est bon. Je regarde Francofonia de Sokourov en préparant un gâteau au fromage en vue du repas avec Germinal Roaux que la productrice de Vega, Ruth Waldburger, m’a demandé d’interviewer pour le dossier de presse de Fortuna.
AMIS PERDUS. - En repensant au silence psychorigide de B.C, qui n’a pas daigné répondre à la lettre amicale que je lui ai envoyée il y a quelques temps, ou aux dernières années si décevantes de mes relations avec V.D., après nos lumineuses retrouvailles, j’éprouve de la tristesse en imaginant ce qui aurait pu advenir de nos amitiés sans un tel gâchis - sans juger l’un ou l’autre pour autant, ni m’accuser non plus de rien. C’est ainsi. La vie est difficile pour tous et nous tâchons de nous en sortir le moins mal possible. N’empêche…
N’empêche que je leur en veux. J’en veux à la vie. Je pourrais m’en vouloir d’avoir été trop cassant ou au contraire trop coulant, mais en même temps je me dis que j’ai agi, comme toujours, selon mon sentiment, etc.
Enfin, quel ami ai-je été ? Ai- je été l’ «artiste de la brouille» dont a parlé un Bertil Galland, certes rompu lui-même au grand art des simulacres d’amitié et de la malveillance policée? Je ne le crois pas. Mais c’est à ma bonne amie qu’il faudrait le demander, toujours juste dans ses appréciations à propos de «la vie» et des gens…
Ce vendredi 12 janvier. – J’ai cru hier qu’on était le 12 janvier, alors que c’est aujourd’hui, et je repense donc à mon père, qui aurait eu 101 ans et dont il faudrait que je relise le cahier jaune qu’il a rédigé à mon intention. Nous sommes devenus amis peu avant sa mort, et il l’est de plus en plus aujourd’hui, lui qui fut un modèle de probité et d’humble, indéfectible attachement.
DE L’EXERCICE. - Je vais tâcher de me remettre au portrait, sachant qu’il s’agit du genre le plus délicat en peinture, au sens où je l’entends en tout cas, c’est à savoir : au sens de la ressaisie de l’âme de la personne, ni plus ni moins, et non seulement de ce que Francis Bacon appelle la flaque, autrement dit : l’émanation physique et psychique du sujet, captée au tréfonds de la peinture mais parfois bien loin de la Personne. Pour ma part j’aimerais faire passer la Personne avant la peinture. La Personne, au sens où je l’entends, a droit à une majuscule.
HOMO DEUS. - La lecture d’Homo deus m’intéresse par les détails illustrant cette «brève histoire de l’avenir» et par exemple ce qui est dit des casques d’attention mis au point sous l’égide de l’armée américaine, qui permettent de focaliser l’attention du guerrier sur la cible à traiter, ou, s’agissant de la femme du guerrier qui ne serait pas elle-même guerrière, sur les travaux du ménage à effectuer selon l’organigramme ad hoc.
MICROFICTIONS. – La seconde tranche des Microfictions 2018 de Régis Jauffret me paraît très inégale, parfois même faible. Broie du noir pour nous faire rire jaune, mais je ne marche pas. Ici et là de bonnes pointes, ou des amorces d’idées narratives qui pourraient être intéressantes, mais sans développement, Tout ça en somme mornement répétitif dans la tautologie pseudo-réaliste, et plus même : paresseux.
Une seule nouvelle de Tchekhov, Les groseilliers, et l’on en revient à un rapport bien plus juste, loyal et sensible, avec la réalité, loin des Microfictions si tendancieusement poussées au noir, même si le Russe ne dore pas la pilule - et c’est le moins qu’on puisse dire. Ce qui est intéressant, à relever dans ses carnets, c’est que plus lui-même se sent d’humeur gaie et plus ce qu’il montre de la réalité s’assombrit. On le lui avait reproché, mais c’est ainsi, je dirais que c’est son esprit de conséquence, alors que le noircissement systématique de Jauffret me semble inconséquent.
PETITES PHRASES ASSASSINES. - Tout de suite intéressé par la fine analyse, à fleur de langage, de ces petites phrases qui ont l’air de rien et qui en disent pourtant long, parfois jusqu’à la méchanceté maquillée en fausse bonhomie, dont Philippe Delerm fait le miel de son dernier livre, intitulé Et vous avez eu beau temps ? Untel vient de se faire larguer par sa compagne, et son entourage : «Et vous n’avez rien vu venir ?». Ou à l’hôpital pour s’échapper d’une visite pesante : «Nous allons vous laisser»…
Ce vendredi 19 janvier. - En rêve cette nuit, j’ai vu Snoopy dévaler follement d’un escalier et en mourir, rien n’y a fait malgré mon téléphone à Maurice Béjart. Ensuite j’ai rêvé de B. C. et de sa nouvelle compagne, qui vivaient dans un drôle de castel sans aucune fenêtre mais entouré d’une espèce de muraille et surmonté d’un minaret. Comme je n’ai point d’ami psychanalyste pour interpréter la chose, je laisse tomber et reviens à Tchekhov, avec Ionytch que j’ai dû lire déjà mais dont je ne me souvenais de rien, sauf de la mauvaise plaisanterie du rendez-vous galant au cimetière.
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Hélas je ne note pas assez, dans ces carnets, ce qui compte vraiment au fil des jours, et par exemple ce que j’ai pensé de Fortuna, le nouveau film de Germinal Roaux, et l’excellent moment que nous avons passé ensemble, l’autre jour, avec maints sujets de conversation très intéressants, sur Sokourov et Tarkosvki (dont il m’a recommandé la lecture du Temps scellé), Vivre de Kurosawa qu’il ne connaît pas et ce qu’il a vécu au Simplon avec Bruno Ganz et la bande du film, notamment.
Ce mardi 23 janvier. – Bien bonne petite lettre de Gérard J. à propos de La Fée Valse, qui me touche beaucoup : « Sachez que j’ai lu et relu votre Fée Valse avec un grand bonheur. J’ai souvent pensé aux poèmes en prose de Baudelaire. Les vôtres sont plus courts mais ils font autant rêver. Tout y est réussi, mais vos débuts, quel régal ! Les premières phrases, et on est entraîné. On pense aussi à Pasolini (sa part angélique et céleste). Vous êtes notre Ariel. »
AUTOUR DE GUSTAVE ROUD. - Mon ami l’AB me dit, au téléphone, que le puceau (c’est ainsi que j’appelle Bruno Pellegrino) a bien travaillé, et c’est tant mieux. Je craignais en effet un livre de vieille fille en lisant, dans 24 Heures, la présentation, d’ailleurs élogieuse, du récit qu’il a consacré à Gustave Roud, sa sœur et son entourage littéraire, et puis non : l’AB , qui connaît le sujet mieux que personne en sa qualité d’ami confident du poète. et de complice de Madeleine, s’y est retrouvé au point de s’émerveiller de ce qu’un jeune auteur d’aujourd’hui puisse s’être imprégné du climat moral et physique de ce petit monde avec autant de justesse et de finesse – à ce qu’il dit et je lui fais confiance.
DE LA SEICHE LITTÉRAIRE. - J’ai relu tout à l’heure le papier que j’avais consacré dans 24 Heures, en 2007, aux Microfictions de Régis Jauffret, que j’avais intitulé. Mille pages de trop ? et je me dis que je pourrais le reprendre en y ajoutant de nouvelles observations guère plus encourageantes, voire pires, car le ton et la façon restent pareils, de même que le regard est toujours celui d’une seiche littéraire crachant son fiel noir dans le bocal d’eau claire de la réalité quotidienne avant de s’exclamer : ah mais quelle horreur, quelle noirceur !
UNE QESTION SANS IMPORTANCE. - Que fais-je le mieux en tant qu’écrivain ? Il me semble que ça se partage entre mes carnets, mes chroniques et mes poèmes, mes poèmes en prose et, du point de vue de la narration, certaines de mes nouvelles et le roman déconstruit tel que je l’ai pratiqué dans Le viol de l’ange, mais je me sens à vrai dire peu romancier, faute peut-être de naïveté ou simplement de persévérance en la matière – je ne sais trop et m’en fiche finalement.
MIO PICCOLO AMARCORD. - J’ai repris ces jours les récits d’À côté de chez nous, dont il me semble qu’ils pourraient constituer un livre de plus, dans le sillage du Pain de coucou, de L’Enfant prodigue et du Viol de l’ange, mais aussi de plusieurs récits du Sablier des étoiles et du Maître des couleurs, en revenant au quartier de nos enfances, à travers le temps et l’extension des lieux à la ville et au monde, etc.
Or je travaille à ces récits comme à une sorte de Lego ou de jeu de dominos, dont chaque pièce en appellerait une autre. Essentiellement un travail sur le langage et ses multiples niveaux, selon les personnages, mais pas que. Suite en somme de la fresque poétique de mon Amarcord personnel, reprise et développée dans le temps, etc.
À PRÉSENT, SELON ANNIE DILLARD. - « N’est-il pas bien tard ? Bien tard pour être en vie ? Nos générations ne sont-elles pas les plus décisives ? Car nous avons changé le monde. Notre époque n’est-elle pas la plus cruciale d’entre toutes ? Ne peut-on dire que notre siècle a une importance particulière qui rejaillit sur nous ? Notre siècle et son Holocauste unique, ses populations de réfugiés, ses exterminations totalitaires en série, notre siècle et ses antibiotiques, ses puces électroniques, ses hommes sur la lune et ses transplantations génétiques ? Non, ni notre siècle ni nous. L’époque qui est la nôtre est une époque ordinaire, une tranche de vie semblable à toute autre. Qui peut supporter d’entendre cela, qui accepte de l’envisager ? Il se peut cependant que nous soyons la dernière génération – voilà au moins qui est réconfortant. Si l’on supprime la menace de la bombe, qui sommes-nous ? D’insignifiantes perles sur un collier sans fin. Notre époque n’est qu’un banal brin d’un improbable fil»…