- Oh, Isabelle !
L’exclamation brutale et sonore surgissant dans mon dos me fit sursauter. Je me retourne pour visualiser la propriétaire de cette voix aiguë et perçante. J’aperçois alors une grande fille brune aux cheveux raides et fins coulant négligemment sur ses épaules étroites. Ses yeux étaient exorbités de surprise joyeuse et la bouche ouverte elle s’approcha de cette vieille connaissance qui lui répondit en souriant sur un ton beaucoup plus approprié dans un lieu public.
- Salut, Christine
- Ça fait si longtemps.
- Oui, heu…
- Au moins cinq ans, non ?
Isabelle ouvrit la bouche pour confirmer ou démentir, je ne saurais jamais, car Christine reprit toujours sur le même ton excité.
- Oh! C’est complètement dingue.
Je crois en effet que c’est une dingue ! Elle poursuivit :
- C’est incroyable de se retrouver par hasard dans le RER, tu prends souvent cette ligne ?
Je n’ai pas entendu la réponse, Isabelle s’appliquant sans doute à parler plus doucement, prenant conscience qu’elles n’étaient pas seules.
- Ah oui ! Et tu fais quoi maintenant ?
Le murmure d’Isabelle mis en évidence quelques mots, la com, presse, informatique… mais je ne cherchais pas à écouter, je profitais des moments de calme offerts par cette femme plus discrète pour continuer ma lecture légèrement hachée depuis l’arrivée de Christine dans le wagon.
- Géniaaaaaaal! Moi, je travaille en agence maintenant, chez Biiiiiiip*, cela me correspond beaucoup mieux, je suis têêêllement plus performante dans ce domaine !
Mais pourquoi hurle-t-elle ainsi ? Sa voix n’est pas si agréable et son discours peu intéressant pour en faire profiter tout le wagon. Qu’elle cesse de me siffler dans les oreilles ! En face de moi, un homme, très brun, arborant une peau mat et dorée, le nez sur les lignes de son journal, relève la tête en soupirant, puis de son regard vert émeraude me lance un coup d'oeil complice. Tous les deux avons quelques difficultés à nous concentrer sur le sens des mots. Tenace, nous tentons à nouveau la poursuite de notre lecture.
- En plus, ce qui est absooolument incroyâble, c’est que j’ai rêvé de toi et de Christophe la nuit dernière.
- Ah ?
- Oui, c’est complètement diiiiiiingue ! Paf, je te rencontre ce matin.
- C’est drôle oui.
- Oh ! J’halluciiiine ! Moi, je t’assure je crois beaucoup aux rêves prémonitoires, c’est un signe, il faut absooolument qu’on se revoie tous ensemble.
Cette Christine devient de plus en plus hystérique, elle est teeellement raviiiiiie de revoir Isabelle. Impossible de lire quoique ce soit.
Je renonce !
Je referme mon livre on claquant la couverture. L’homme près de moi plie son journal, le visage affichant un fatalisme amusé.
Et notre charmante Christine, poursuit ses théories sur l’amitié, les rencontres, le hasard, cette circonstance fortuite, inattendue et inexplicable…
… Devrais-je lui suggérer de méditer également sur la discrétion ?
Est-ce vraiment un hasard ? Quelle est la probabilité de se rencontrer, parmi ces milliers de gens qui déambulent dans le RER. Isabelle devrait être convaincue, que c’est le moment de se fréquenter à nouveau. Christine tend sa carte à Isabelle en l’invitant à reprendre contact. Et lui demande ses coordonnées. Apparemment Isabelle n’a pas de carte sur elle, ou bien ne veut-elle pas lui en donner.
- Oh ! C’est pas grave, hurle Christine, je vais noter ton numéro de portable.
Je sens une hésitation de la part de la jeune femme. Le train arrive à la station Auber
- Oh ! s’exclame Christine, je descends là. - Quelle bonne nouvelle! - Bon alors, tu m’appelles, hein ?
Ouf, sauvée par le gong !
- Oui, au revoir, lui répondit Isabelle.
C’est drôle, j’ai comme l’impression qu’Isabelle ne tentera pas de la joindre et évitera désormais le train de huit heures cinquante-quatre !!
En attendant leurs hypothétiques retrouvailles, je peux reprendre ma lecture.
* Agence de Pub dont je tairais le nom…