Voici le portrait qu’a donné Charles Nodier (1780-1844) de Cazotte, qu’il avait vu dans sa jeunesse :
« A une extrême bienveillance, qui se peignait dans sa belle et heureuse physionomie, à une douceur tendre que ses yeux bleus encore fort animés exprimaient de la manière la plus séduisante, M. Cazotte joignait le précieux talent de raconter mieux qu’homme du monde des histoires, tout à la fois étranges et naïves, qui tenaient de la réalité la plus commune par l’exactitude des circonstances et de la féerie par le merveilleux.
Il avait reçu de la nature un don particulier pour voir les choses sous leur aspect fantastique, et l’on sait si j’étais organisé de manière à jouir avec délices de ce genre d’illusion. Aussi, quand un pas grave se faisait entendre à intervalles égaux sur les dalles de l’autre chambre ; quand sa porte s’ouvrait avec une lenteur méthodique, et laissait percer la lumière d’un falot porté par un vieux domestique moins ingambe que le maître, et que M. Cazotte appelait gaiement son pays ; quand M. Cazotte paraissait lui-même avec son chapeau triangulaire, sa longue redingote de camelot vert brodé d’un petit galon, ses souliers à bouts carrés fermés très avant sur le pied par une forte agrafe d’argent, et sa haute canne à pomme d’or, je ne manquais jamais de courir à lui avec les témoignages d’une joie folle, qui était encore augmentée par ses caresses. »
Charles Nodier met ensuite dans sa bouche un de ces récits mystérieux qu’il se plaisait à faire dans le monde, et qu’on écoutait avidement.
Il raconta une histoire étrange, survenue cinquante ans plus tôt, en 1740, qui impliquait une mystérieuse vieille femme appelée Mme Lebrun. Pour lui, bien qu'elle aurait eu près de cent vingt-cinq ans, elle devait être l'ancienne courtisane Marion de Lorme.
Cette année-là, il avait vingt ans, et arrivait à Paris. Il était recommandé à un certain M. Labrousse qui avait trois filles et avait fait fortune dans le commerce avec l'Inde.... Il ne tarda pas à tomber amoureux de l'une d'elles, appelée Angélique.
Rien ne semblait pouvoir s'opposer à son bonheur, lorsque la jeune fille lui déclara mystérieusement que, malgré l'amour qu'elle lui portait, il lui serait impossible de l'épouser, …. « Nous reparlerons de cela un jour, si nous sommes ici tous alors... Nous en reparlerons trois mois après la mort de madame Lebrun. »
« Madame Lebrun était « une femme extrêmement âgée qui habitait le second étage de la maison, et chez laquelle madame Labrousse et ses filles passaient au moins une soirée par semaine ; Angélique y allait plus souvent seule, et je me souvenais de l’en avoir vue descendre avec une émotion que ses traits expressifs ne pouvaient déguiser; mais cette observation n’avait laissé alors aucune trace dans mon esprit ; elle me revint tout à coup. »
Angélique refusait de s'engager en évoquant une mystérieuse prédiction de Mme Lebrun, sa voisine. Elle ne se voyait pas survivre plus de trois mois à la mort de celle-ci. Cazotte demanda alors à voir cette Mme Lebrun, surnommée «la fée d'ivoire», à laquelle on prêtait des absences mystérieuses, des pouvoirs de magicienne, et des dons de voyance.
Elle lui aurait révélé une fin tragique, « une catastrophe de sang ». Pour Cazotte, Mme Lebrun aurait eu près de cent vingt-cinq ans, et elle devait être l'ancienne courtisane Marion de Lorme :
Mais, Cazotte - écrit Charles Nodier - n'acheva pas son récit... Il le remit à plus tard, et prit congé...
Marion Delorme née en 1613, maîtresse de Cinq-Mars ( Henri Coëffier de Ruzé d'Effiat, marquis de Cinq-Mars, né en 1620 et exécuté le 12 septembre 1642, était un favori du roi Louis XIII. ), partageait avec Ninon de Lenclos les suffrages de tout ce que Paris et la cour avaient de plus spirituel et de plus aimable. Du temps de la Fronde, elle apprit qu'elle allait être arrêtée (1650)...
Le bruit de sa mort se répandit. Jean Loret en parle ainsi dans sa Muse historique (2 juillet 1650) : « La pauvre Marion Delorme,/ De si rare et plaisante forme,/ A laissé ravir au tombeau / Son corps si charmant et si beau. ».
On prétend alors que c'est elle-même qui fait courir le bruit de sa mort ; on raconte qu’elle vit de ses fenêtres passer son convoi. Ici commence sa nouvelle vie ; le jour même de son convoi, elle part pour l’Angleterre, y épouse un riche lord, devient veuve, et revient en France fortunée...
Elle se marie encore plusieurs fois : au librettiste et historien de la musique Jean-Benjamin de La Borde, à un procureur fiscal de Gy en Franche-Comté, nommé Lebrun...
Certaines personnes la font vivre jusqu’en 1741, à l’âge de cent trente-quatre ans...
C'est le cas de Jean-Benjamin de La Borde dans sa Lettre de Marion Delorme, aux auteurs du journal de Paris (1780), fait naître Marion Delorme à Balhéram en Franche-Comté, le 5 mars 1606, et l’appelle Marie-Anne Oudette Grappin. Il s’appuie sur un extrait mortuaire qu’il rapporte des registres de la paroisse Saint-Paul, de 1741, ils contiennent en effet l’extrait mortuaire d’Anne Oudette Grappin, veuve en troisièmes noces de Lebrun, et âgée de cent trente-quatre ans.
Durant ces années troublées qui précédent la révolution, Cazotte participe de l’angoisse générale.
Avec le secours céleste, il interroge les morts et les anges. La marquise de Sainte-Croix s'est installée chez lui. Madame Cazotte, si elle ne semble pas jalouse, s'en plaint tout de même... Elle écrit à une amie :
« Tout ici est bouleversé. Le matin on prédit ce qui doit arriver le soir. L’autre soir la marquise a reçu son mari mort. Elle a conversé une nuit avec mon père que j’ai perdu l’an dernier en Martinique.. ma femme de chambre est somnambule… »
Cazotte manifeste des talents de voyant, il a des prémonitions qui lui viennent sous forme de rêves qui se réalisent en général dans les jours ou les semaines qui suivent.
C’est en 1788 qu’il aurait fait la fameuse prophétie rapportée par le Chevalier Jean-François de la Harpe dans ses mémoires en 1802 qui a fait couler beaucoup d'encre....
« Vous, Monsieur Bailly, et vous, Monsieur de Malesherbes, vous mourrez sur l’échafaud... Vous, Madame, on vous conduira en charrette, les mains liées derrière le dos, à la place des exécutions.
- Mais, Monsieur le prophète, lui répondait en riant la duchesse de Grammont, ne me laisserez-vous pas au moins un confesseur ?
- Non, Madame, non, lui répondait Cazotte énigmatique, non, vous n’en aurez pas, et le dernier supplicié qui en aura un, ce sera le roi !... », rapporte Louis Blanc dans son Histoire de la Révolution française.
Jacques Cazotte fut condamné à mort en 1792...
Lors de son procès, il est interrogé par le président du tribunal ( rapporté par le Marquis Stanislas de Guaïta) :
Q-Quelle est la secte dans laquelle vous êtes rentré ? Est-celle des Iluminés ?
R- Toutes les sectes sont illuminées, mais celle dont je parle…. J’y suis resté attaché l’espace de trois ans ; … néanmoins j’en suis demeuré l’ami. La connaissance par les choses occultes est une mer orageuse dont on n’aperçoit pas le rivage.
La sentence du tribunal le privant de la vie, est ainsi :
« Ecoutes les dernières paroles de tes juges ! Puissent-elles en te déterminant à plaindre le sort de ceux qui viennent de te condamner. Tes pairs t’on entendu, tes pairs t’on condamné… envisage sans crainte le trépas, songe qu’il n’a pas le droit d’effrayer un homme tel que toi.
Encore un mot. Tu fus homme, chrétien, philosophe, initié, sache mourir en homme, sache mourir en chrétien ; c’est tout ce que ton pays puisse encore attendre de toi ! »