« Arrête de pleurer comme une fille ! » « Les filles sont plus intelligentes que les garçons ! ». Enfant, j’ai souffert d’entendre ces phrases que les adultes répétaient jusqu’à plus soif : je me croyais anormal parce que, malgré mes efforts, j’étais incapable de m’empêcher de pleurer quand j’étais malheureux (ce qui arrive fréquemment quand on est victime de harcèlement scolaire) et encore moins d’avoir de moins bonnes notes que la fille la plus intelligente que la classe.
D’un autre côté, être assimilé à une fille ne me gênait pas outre mesure : d’après mes « camarades » et, je dois bien le dire, quelques aînés, être un garçon, c’était « jouer au foot ou à la guerre, à celui qui pisse le plus loin ». Très peu pour moi, merci. De toute façon, je préférais dessiner. Rien de bien original : tous les petits enfants dessinent, les filles comme les garçons. Mais la donne change quand vient l’aube de l’âge ingrat : en général, les garçons se mettent à taper dans un ballon et à draguer la minette. Ma peur incurable des ballons et ma timidité maladive m’ont préservé de ce tournant : j’ai donc continué à dessiner frénétiquement, tant et si bien qu’aujourd’hui, je suis rarement plus heureux que quand je suis assis à mon bureau de dessin. Je ne vais pas dire que j’en suis fier car je n’ai pas eu à me faire violence pour en arriver là. C’est comme ça, c’est tout.
Aussi, dessiner contre le sexisme et pour les droits des femmes comme je le fais aujourd’hui, même si on peut discuter de l’efficacité de ma démarche, c’est la continuation logique de mon parcours : le parcours d’un garçon « anormal » au sens où il n’a jamais voulu rentrer dans le moule qu’on a essayé de lui inculquer parce qu’il trouvait le dessin plus intéressant que les « jeux de garçons » et qu’il pressentait déjà vaguement qu’il était absurde de prétendre que l’appartenance à un genre entraîne forcément un type de comportement.
Oui, je suis sensible et je n’ai pas honte de pleurer. Oui, j’ai été un élève brillant. Et ces deux caractéristiques font partie de ce que je suis au même titre que ma passion pour le dessin. Et je n’en suis pas moins un homme pour autant. Quiconque oserait me dire le contraire serait aussi sexiste que je le serais si je m’aventurais à prétendre que le dessin, en tant qu’art, est réservé aux hommes : ce ne serait pas seulement méchant, ce serait aussi absurde. Tout préjugé est un attentat contre le bon sens élémentaire.