La barrière psychologique du p’tit Canada c’est la rue principale, du parc Baron jusqu’au bout de la rue Miekel en passant par le Parc Richelieu!
Seul, j’étais bien peu de choses comme aujourd’hui en fait! Nous étions une meute sans le savoir. J’étais un loup parmi la meute. Un bon loup mais avec ma meute, même chose qu’en 2018. Au travail, je suis un bon loup à cause de Simon, Alexandre et Stéphane! Sans eux, je suis un gars d’entrepôt générique.
Dans l’histoire que je vais vous raconter, le mot équipe prend tout son sens. J’ai compris le mot équipe en 1986. Merci à La Guerre des tuques, merci au regretté André Melançon, réalisateur du film ainsi qu’à l’auteur Danyèle Patenaude.
Février 1986
Nous sommes chez les Gagné, seuls résidents du p’tit Canada à être propriétaires d’un VHS. Nous avons eu en groupe une révélation. Cet après-midi-là, d’un samedi sibérien, nous avons vu pour la première fois La Guerre des tuques. L’Almanach du peuple avait prédit une journée froide. Le nectar Denis, les chips Dulac, les beignes aux patates de Madame Gagné, c’était du gros bonheur sale à vitesse grand V. Hélène Tonka voulait juste m’embrasser et jouer à touche-pipi, le film n’était qu’un prétexte pour cette future mangeuse d’homme! Son frère Frank lui cherchait à manger ses crottes de nez sans que personne s’en aperçoive!
Note à Frank dans le texte: Malgré tes sacro-saintes culottes de camouflage et tes déguisement de Ninja, tout le monde te voyait manger tes crottes de nez!
Nous avions été chercher la cassette du film au vidéo Laflèche sur la rue principale aux limites du P’tit Canada. Des jetons sur des velcros, des poches de jute pour mettre les cassettes dedans, des portes Western (ça piquait dans le bas-ventre quand on réussissait à se faufiler pour aller voir les cover des cassettes). Un genre de Bleu Nuit mais hardcore! Mon centre vidéo était la caverne d’Ali Baba. Mon centre vidéo a tué le cinéma de l’autre bord d’la rue! Le théâtre de Lachute est mort en 1983. J’ai vu E.T en 1982 dans ce vieux théâtre et j’en parle aujourd’hui à qui veut l’entendre dans mon patelin!
Et puis à la fin du film, à la mort de Cléo, nous avons eu une révélation. Nous voulions en tant que groupe conquérir le p’tit Canada face au maudit « blokes » de notre secteur! Et surtout conquérir la cour d’école du Laurentien High School!!! Les non moins maudits anglais ont le reste du Canada de Halifax à Vancouver, coast to coast, nous les p’tits crottés, nous les pauvres, nous allions avoir le p’tit Canada avec le Perrette de la rue Principale inclus! Après le film, je suis retourné chez nous et en marchant, je me sentais comme « Rocket » Maurice Richard à la conquête du Détroit. Je savais que j’aurais à affronter des genres de Ted Lindsay de mon quartier avec les coudes très haut dans les airs! Oeil pour oeil, dent pour dent!!!
Voilà! Une guerre d’enfants sans fin allait s’en suivre. Les Frog’s contre des enfants d’Irlandais! Et tout le monde sait que les Irlandais sont les plus tough. Ils sont presque incassables et surtout innocents! Voilà leur force ultime, l’innocence du danger!
Dans la cave des Gagné, j’apportais mes records de Black Sabbath pour mettre sur le pick-up de leur père! Nous avons bâti notre plan au son de la voix d’Ozzy Osbourne, au rythme diabolique de la guitare de Tony Iommi, à la basse du fond des ténèbres de « Geezy »Butler et au tapage infernal de Bill Ward! Je suis un fils de Black Sabbath. Je suis un children of the grave!
Notre cheval de Troie était sous la forme du plus dur d’entre nous, Éric le rouge! Lui y’était habitué d’en manger des claques sa yeule!
The day…
Cette journée-là selon l’Almanach du peuple c’était tempête. Cette journée dans les faits, il est tombé 45 cm de neige sur le p’tit Canada. À l’époque, nous les p’tits mongols, on laissait tomber la neige! Depuis ce temps, je suis incapable de la laisser tomber sans rien dire. Je sacre de décembre à mars comme ce pauvre banlieusard dans la classe moyenne que je suis.
Le plan? Bâtir un fort de fortune sur la rue Bellingham en face du Laurentien High School. Nous avions la vie devant nous pour nous planter. Chaque enfant de notre coin part à -5 c’est comme ça! Mon petit frère est celui qui a le mieux réussi d’entre nous tous! Il a sa technique en éducation spécialisée. Je veux souligner ici le parcours difficile de ses enfants qui l’ont pas eu facile! Bravo Marco! Plus grand et majestueux que Marco Polo.
Éric le rouge a été à la tâche solidement ancré dans ses vieilles bottes Sorel de bâtisseur de fort! C’est comme si même au début de l’idée du fort, il avait déjà commencé à le bâtir. Pour dire la vérité. il l’a bâti à lui seul au ¾ et l’autre quart était faible et mollasse! Éric aimait bâtir, lui qui était débâti au quotidien. Il n’a jamais eu la chance d’avoir des Legos mais s’il en aurait eu, il en aurait été le maître ultime.
Éric le rouge: « Je vais fabriquer un drapeau de pirate pour le fort. »
Moi: « Un drapeau de pirate pour un fort? Les pirates c’est dans les Caraïbes épais! Pour le fort on devrait être des Vikings! »
Éric le rouge: « Moé j’veux être un pirate des neiges! »
Moi: « Les pirates c’est en bateau criss d’épais. »
Éric le rouge: « C’est où les Caraïbes? »
Moi: « Dans le coin de St-Philippe! »
Éric le rouge: « Ah oui y’a des pirates à St-Philippe! »
Moi: « Laisse faire câlisse! »
C’est peut-être pour ça que Éric le rouge, pirate de toutes les océans n’arrive jamais à bon port!
Nous étions Éric le rouge, Marco, Hélène, Nancé, Stéphanie avec un i, Racine, les frère Périard, Larocque et Jo Roussel (un gars de Schefferville). Nous étions contre les p’tits fils de la forêt à McKenzie, Brady, Burke, O’Donoghue, l’enfant de chienne, O’Sullivan, l’anglaise Sweeney (soupir) et d’autre « blokes » aux cheveux carottes!
Cette journée j’avais eu une illumination: mettre de la peinture à l’huile dans les balles de glace pour qu’elles éclatent en couleur sur les beaux manteaux de nos anglais préférés! Un genre de feu d’artifice version p’tit Canada!!! Mon père avait quelques vieux gallons de peinture qui traînaient dans la shed et moi j’avais des bras pour les voler!
Parenthèse dans le texte
(Il faut savoir que j’ai, avant cette journée, embrassé quelques fois la jolie anglaise Sweeney au grand malheur de O’Donoghue l’enfant de chienne. Oui j’ai traversé la ligne imaginaire qui nous séparait des « blokes » et laissez-moi vous dire que jamais je l’ai regretté!
Ses lèvres goûtaient surtout l’interdit! Vive l’Irlande. Je suis un paradoxe sur deux pattes, un amoureux de la femme avec un grand F! Fuck les guerres que je me disais inconsciemment. Vive les bouches aux milliers de saveurs!)
Bref, je vivais un histoire d’amour secrètement au détriment de ma gang, au détriment du nous! Cette journée-là, j’avais trouvé le courage de dire à ma gang de ne pas lancer de balle de glace à la belle Sweeney! Que Jaymie c’était ma blonde rousse! Les gars étaient d’accord pour dire que c’était une crisse de belle fille et j’étais d’accord avec eux. Hélène a fait du boudin, je dirais du boudin de grande qualité comme ces chefs de grands restaurants gastronomiques!
Le moment venu, Éric a été achalé l’un des fils à McKenzie comme il en est capable c’est à dire en « ostie toasté sur les deux bords » comme l’aurait dit Victor-Lévy Beaulieu!
Éric est revenu avec un oeil de raton laveur, du déjà vu pour lui, presque du quotidien! Les McKenzie frappaient fort comme des enclumes, je parle par expérience!Arrivent les Anglais… mon coeur bat à 100 mille à l’heure et celui de notre gang tout autant, nos coeurs battent à l’unisson, au même rythme infernal, au rythme de la vengeance et du chaos qui avance vers nous! Nous sommes pas gros dans nos culottes de neige! Jaymie suit sa gang en retrait.
One, two, three…
Des balles de glace éclatent en peinture sur leurs beaux manteaux de ski alpin de petits riches! La guerre a duré le temps de quelques balles de glace, a duré le temps que les Irlandais se rendent compte que leurs beaux manteaux étaient plein de peinture! Un genre de parade arc-en-ciel avant la parade gay. Ils et elles pleuraient tous de rage, d’incompréhension sauf Jaymie, personne l’avait atteint.
La misère venait de leur tomber dessus! Welcome aboard! O’Donoghue s’est dirigé vers moi en criant, mon poing de frog a cogné sur son nez qui a littéralement éclaté sous l’impact, du sang coulait à flot sur son manteau blanc comme la rivière du Nord de mon enfance au printemps!
La peinture à l’huile c’est bien difficile mais c’est bien plus beau que la peinture à l’eau!
Ils et elles ont été pleuré à leurs parents, les nôtres sont arrivés au fort en groupe!
Tout le monde est rentré dans leurs logis les oreilles molles. Mais avant de rentrer j’ai dit au chum de Francine la mère d’Eric, que lui n’avait rien à voi dans cette chicane, qu’il n’avait lancé aucune balle et la meute a dit la même chose à l’unisson! Éric le rouge m’a regardé comme rarement on m’a regardé par la suite! Un regard d’admiration comme parfois me donne mes enfants! Nous la meute étions conscients qu’il mangeait assez de claques de même, nous avons protégé l’un des nôtres! Nous avons appris le mot équipe ce jour-là! Merci La Guerre des tuques.
Et ce soir là dans le p’tit Canada, les frog’s avaient conquis leur p’tit Canada. Et ce soir là, du parc Baron jusqu’au bout de la rue Miekel en passant par le Parc Richelieu, si vous marchiez dans les rues de notre quartier, vous pouviez entendre un concerto de straps et de pleurs juste avant Les Beaux Dimanches à Radio-Canada sauf chez Éric le rouge, le pirate des neiges!
À nous!