Râlerie publiée dans le Lanfeust Mag d’avril 2017.
Le mois dernier, je râlais sur les « grammar nazis ». Quand j’ai envoyé mon article plein de subtiles, hilarantes et élégantes références hitlériennes à Rebecca Morse, en charge de les illustrer, elle m’a fait la remarque suivante : « Dis… tu ne crois pas que tu charges un peu la mule sur l’imagerie nazi ? Avec ce qui se passe en ce moment… »
J’ai réfléchi…
J’ai fait : « Merde, elle a raison ».
Et j’ai modifié mon article.
Et ça m’énerve.
Du coup, vous avez droit à une nouvelle râlerie sérieuse.
Ça doit faire une petite dizaine d’années que je tempête sur le galvaudage du sens de mots ayant une signification pourtant claire. Il faut dire que la paresse intellectuelle me sort facilement par les yeux, surtout lorsqu’elle est déployée par des gens qui se prennent pour des grands malins. Au hasard… durant des débats sociologiques ou politiques.
Un classique, qui m’a tout de même l’air de perdre un peu de son swag et je m’en réjouis, est de désigner comme « héros » n’importe quel quidam s’étant trouvé au bon endroit, au bon moment, pour faire un truc authentiquement chouette, entendons-nous bien, mais parfaitement normal dans les circonstances données. Alors non seulement on met dans le même sac les gens sympas et ceux qui ont risqué leur vie ou, au bas mot, leur santé physique et/ou mentale pour accomplir une action purement altruiste, mais surtout on qualifie d’héroïque un comportement civil lambda (sous-entendant au passage que ceux qui ne lèvent pas leur cul ne sont pas des lâches mais de gentils citoyens ordinaires (Eh, chacun ses limites, hein ! Oh ! Alors on ne va pas, à nous cinq, sauver cette adolescente d’un agresseur unique et pas armé dans le métro. On n’est pas des héros !)).
« Héros », fut un temps, en était même venu à désigner tout sportif extrême… voir tout sportif tout court, du moment qu’il nous ramenait une coupe du monde, d’Europe, voire de France, et c’est peut-être là que les gens ont commencé à se dire qu’il fallait se détendre un brin.
Autre poil à gratter pour toute personne munie d’un cerveau et d’un minimum de vocabulaire : la qualification d’« d’historique » de cette palanquée d’évènements à peine insolites. Allez, soyons de bonne foi, certains ont un réel caractère inattendu, dans un contexte tout de même très limité dans le temps et l’espace (l’histoire d’un parti ou d’un sport, par exemple, auquel cas précisez-le), mais pour d’autres, on cherche encore (Aaah, la décision historique de la mairie de Trifouilly les Perpétzouilles de financer le tri sélectif !).
Tout ça, c’est gonflant, c’est ridicule, c’est du nivellement par le bas en parpaings XXL, et cetera.
Mais, surtout, c’est dangereux.
Parce que les mots ont non seulement un sens, mais une fonction.
Voyons « facho », par exemple. Figurez-vous qu’à force de qualifier ainsi le moindre contradicteur de droite un peu rigide, le jour où un vrai fasciste nous menacera, il aura vite fait de rigoler de vos cris au loup, de vous rappeler tous les innocents que vous avez parés de cette épithète avant lui, et de vous renvoyer pleurer dans les jupes de votre mère, sans égard pour le nombre de gens que votre petit vocable fourre-tout vous aura permis de casser (ou lasser) sur Twitter. Peut-être même qu’il n’aura pas à se fatiguer, parce que, ce jour-là, vous aurez tellement bien effectué le travail de sape à sa place que plus personne ne prendra au sérieux ceux qui brandissent ce mot.
Exagération ?
Que nenni.
Nous vivons déjà dans un monde ou le terme « facho » ne fait plus peur.
Où certains le revendiquent.
« Nazi » me semble avoir relativement échappé à cette dérive. Après tout, aux USA, les suprématistes blancs se donnent maintenant du joli « Alt-Right », nom allègrement repris par la presse, donc des PROFESSIONNELS DES MOTS, sans aucune inquiétude à l’idée de normaliser des néo-hitlériens. (Ce sont sans doute les mêmes qui ont médiatisé le « pro-life » pour désigner ces personnes responsables de milliers de morts de femmes tous les ans à force de s’opposer à l’avortement. Mais, eh ! Qu’est-ce qu’on s’en fout ! Ça sonne bien, c’est chantant, ça se retient !)
Reste que j’ai tout de même vu, sur les réseaux sociaux, des personnes s’exclamer « POINT GODWIIIIIN ! » lorsque d’autres s’inquiétaient des parallèles entre plusieurs régimes actuels et celui du tyran à moustache.
Eh, les mecs…
Le PRINCIPE du point Godwin, c’était de rappeler que LE MOT NAZI DOIT ÊTRE UTILISÉ POUR PARLER DES NAZIS !
Et je trouve ça un peu AHURISSANT DE CONNERIE d’empêcher les gens de dénoncer le nazisme, voyez.
SURTOUT pour balancer une vanne datant du web 1.0 !
Paresse intellectuelle, toujours.
Vous n’êtes pas obligés d’avoir un avis sur tout.
Vous n’êtes pas obligés de débattre si vous n’avez pas d’arguments.
Vous n’êtes pas obligés de faire des phrases si vous n’avez pas les mots.
A l’opposé du spectre, vous n’êtes pas non plus obligés de vous vautrer dans la novlangue ou le recopiage de phrases creuses. Oubliez les « bobo » (ça veut rien dire, sérieux. Et, même si ça voulait, c’est une attaque ad hominem qui crie juste votre terreur à l’idée d’avoir tort), « bien-pensant » (Faut être fier de mal penser ?), « Réveillez-vous » (non, sans déconner, la honte !), « Faut arrêter de regarder TF1 ! » (Reprocher à vos adversaires leur manque de culture avec une expression bavée par tous, faut quand même oser !)…
Écoutez ce que les gens disent.
Forgez-vous votre opinion.
Vous n’avez rien à prouver mais, si vous choisissez d’agir, vous devriez prendre la responsabilité de le faire bien.
Utilisez le mot « nazi » pour désigner les nazis.
Et, comme ça, je n’aurai peut-être plus peur d’être mal interprétée la prochaine fois que je me vautrerai avec talent dans l’humour outrancier pour me payer les snobinards du langage.
Commentaires fermés. Discussion éventuelle sur ma page Facebook.
L’article Les mots ont un SENS ! (Râlerie) est apparu en premier sur Isabelle Bauthian.