Magazine Journal intime

Théo

Publié le 03 avril 2018 par Barbu De Ville @barbudeville

Mercredi, 1er septembre 2010, 20h47, Ville Saint-Laurent

J’ai presque fini ma journée de travail. Je suis sur mon Forklift et je descends une palette contenant des Ballasts. Mon Forklift pèse 8000 lbs et la palette que je vais chercher à vingt pieds dans les airs pèse 4000 lbs!

Je suis focus quand soudain mon cellulaire sonne:

  • (Ma blonde) Pat, je viens de perdre mes eaux dans le bain!!! Viens t’en, fais ça vite mais pas trop vite non plus.
  • (Moi) Ok, j’arrive.

Je raccroche et je descends ma palette en un temps record. Je la laisse au sol et je cours vers ma table de travail pour enlever mes souliers et mettre mes sandales. Je crie à mon collègue de travail:

  • (Moi) Hey Gulik, ma blonde vient de perdre ses eaux… I am gone!
  • (Gulik) Be careful buddy pis roule tranquillement!

Je suis dans mon char, il est 20h51. Je suis à Ville Saint-Laurent et à 35 minutes de chez nous. Mon voisin et collègue de travail m’appelle sur mon cellulaire:

  • (Olivier) Là, ta blonde vient de perdre ses eaux et ma femme est avec elle. Relaxe mon Pat pis sur ton « meter » faut pas que tu montes plus haut que 115 km/h OK?
  • (Moi) Merci Oli, t’es gentil… je vais rouler tranquille, on se voit chez nous!

Comble de malheur, ma route habituelle est fermée pour des maudits travaux publics. Je ne connais que ce chemin et je suis loin d’être une boussole!

Je réussis par je ne sais quel miracle à trouver ma route dans un labyrinthe de pancartes et de chemins. Ma blonde me retéléphone:

  • (Ma blonde) Là, quand tu vas arriver, sois relax. Mathilde (ma petite Mathilde avait 3 ans à l’époque) a un peu paniqué en me voyant perdre mes eaux! Elle ne veut pas que je quitte pour l’hôpital!
  • (Moi) OK, pas de trouble! Je suis zen mon amour! (Mensonge)

Conseil du pro:

Quand votre femme est sur le point d’accoucher, soyez positif, que positif!

Le mensonge est votre ami en cette soirée. Si vous êtes nerveux, on s’en fout. Le fameux soir, vous n’existez plus. Vous êtes au service de celle qui va souffrir le martyre. Un point c’est toute!

J’arrive chez nous à 21h31, heure de St-Jérôme, sous la musique d’Elvis: Viva Las Vegas, Viva…

Je rentre dans la maison, je suis relaxe! (Mensonge)

Ma blonde est là, ma charmante voisine aide ma fille à préparer son sac pour aller faire dodo chez ma tante Catherine! Catherine est là aussi, bien sûr, et mon voisin! Tout ce beau monde nous aide à mettre les bagages dans le char. Mathilde part avec Catherine et nous partons sous le regard de nos voisins.

Nous arrivons à l’hôpital et en franchissant les portes de l’ascenseur nous sommes à l’étage numéro 4, celle des naissances. Un millier de souvenirs me remontent à la tête. Je revois encore ma petite Mathilde qui est née ici, il y a déjà 3 ans! C’est comme si ça faisait une éternité! Presque dans une autre vie!

On s’installe dans une salle d’accouchement. Ma blonde est nerveuse, ultra nerveuse, anxieuse, névrosée sur le bord de la panique! Ça devient officiel. Moi, je dois garder le contrôle. Ce soir, pour la deuxième fois de ma vie, et pour la dernière, je joue le rôle de catcheur et ma blonde celui de lanceur!

En tant que catcheur, je dois garder mon lanceur focus malgré la nervosité, malgré la peur de l’adversaire. Je mène la patente! Elle a un gros match à jouer et elle le sait! La pression est au maximum!

La docteure vient nous voir pour nous annoncer que l’accouchement n’aura pas lieu ce soir, car le travail n’a pas commencé. Elle veut donner une chance à mon lanceur!

  • (Docteure) Si demain matin le travail n’est pas commencé, nous allons débuter le pitocin!

Je vois dans les yeux de ma blonde l’horreur, la douleur, la peur, l’effroi et le désir de « crisser son camp ». On s’endort vers 23h15 et pendant tout ce temps Karine a un millier de questions dont je n’ai aucune réponse! Je retrouve mon lit de « camp », celui que j’avais eu il y a trois ans pour Mathilde… je ne m’étais pas ennuyé de lui! Je suis inquiet pour Karine. Je la trouve très nerveuse, trop nerveuse. Ma game, demain matin, ça va être de la calmer, de lui faire accroire que ca va être « a walk in the park » comme dirait l’ineffable Pierre Rinfret!

LA GAME

Notre infirmière est Guylaine, une femme d’expérience qui travaille dans le milieu depuis 20 ans! Une vraie soie. Il est 9h10 du matin et le pitocin est embarqué, c’est officiel. Le temps a arrêté d’avancer, la Terre a arrêté de tourner pour nous. Étrangement, aussitôt que le pitocin est embarqué, ma blonde à moi a mis sa « game face »! J’avais un bon soldat avec moi pour partir la guerre. Elle voulait la balle, elle voulait le monticule. J’étais maintenant en confiance.

PLAY BALL

On commence le fameux pitocin à raison de 3 ml par heure! Karine prend les petites contractions comme un maître bouddhiste.

On augmente le pitocin trente minutes plus tard à 6 ml par heure! Karine est plutôt relaxe, je suis fier d’elle. Je la trouve bonne.

On augmente le pitocin trente minutes plus tard à 12 ml par heure!

On commence à parler « business »!

Pour faire une image aux gars qui vont lire ce texte, le pitocin c’est comme un « Nolan Ryan » toujours dans la zone des prises!

Quarante-cinq minutes plus tard, on augmente le pitocin à 24 ml par heure. On est dans les manches qui comptent. Karine souffre en silence. Elle prend toutes les contractions avec panache! Elle m’impressionne, ma blonde!

Il est temps d’augmenter le pitocin à 30 ml par heure. Ça fesse, ça gruge, ça travaille « mal sale ». Karine reste imperturbable. Elle fait un bon travail! La game est « rough ».

Par la suite, on augmente le pitocin à 36 ml par heure! Le cœur de Théo se met à faire des « free games ». Le battement d’un bébé normal est de 120 battements par minute, et ça peut varier jusqu’à 160 battements par minute. Celui de Théo descend jusqu’à 60 battements par minute!!!

On poursuit vers 42 ml par heure… D-O-U-L-E-U-R. Contractions aux minutes et vogue la galère.

Arrive le chiffre de 48 ml par heure et l’épidurale! Il est 15h.

L’épidurale, les gars, c’est comme avoir ce bon vieux « Chris Nilan » dans son équipe, ça gèle assez vite!!!

La madone est soulagée, mais dans sa face, je vois de l’inquiétude. Elle panique tout d’un coup. Elle n’a plus mal, mais elle panique. Moi je suis zen et positif. (Mensonge)

Il est 16h et ça fait presque sept heures que « la mise à bas » est commencée. Le cœur du bébé n’est pas mieux, ça commence à être inquiétant. L’infirmière a baissé le pitocin à 36 ml par heure et a donné un masque d’oxygène à Karine.

Le temps avance à pas de tortue… Une vieille tortue au neutre qui avance à reculons! Les secondes s’écoulent au compte goutte et Karine se décourage à vue d’œil! Elle pleure. Je fais la « cheerleader » du mieux que je peux… je sors le Jacques Demers en moi!

On continue, on arrive à 19h, c’est le temps de pousser… c’est la 9 ième manche. Le cœur du bébé n’est pas mieux et Karine non plus! Je me demande intérieurement comment elle va faire pour aller chercher de l’énergie. Je suis inquiet, mais rien ne paraît. (Mensonge)  Je suis « Popositif »! (Mensonge)

Nous sommes moi, Karine, Théo dans le ventre de sa mère encore trop haut, Guylaine, Stéphanie et la docteure Gosselin! Il est 19h10, Karine débute sa 9 ième manche, elle pousse, pousse et pousse. La pression augmente, celle de la docteure, des infirmières et moi… Karine me demande si tout va bien, je lui réponds que oui. (Mensonge)

  • (Guylaine) Karine, c’est le temps que tu sortes le bébé. Il a de la misère, son petit cœur ne pourra pas « tougher » longtemps!

Karine pousse encore et nous on crie littéralement après elle… on la provoque!

-(Moi, docteure, infirmière) POUSSE, DEUXIÈME EFFORT, VAS-Y, COME ON, GOOD WIP, TU LE VEUX-TU CE BÉBÉ LÀ? POUSSE AVEC TES FESSES, COME ON, DONNE-MOÉ UNE AUTRE POUSSÉE…

Karine enlève son masque d’oxygène et dit :

  • (Karine) Je suis puuuuu capable, je ne serai pas capableeeeee.

Elle nous regarde avec ses yeux de petit chien battu! Je prends le masque d’oxygène pis je lui mets directement sur la bouche.

  • (Moi) HEY, TU POUSSES PIS ÇA PRESSE! VAS-Y, TU VAS TE REPOSER APRÈS. COME ON! SORS THÉO DE LÀ, SORS MON GARS DE LÀ…

Karine, comme un bon soldat, m’écoute et je vois dans sa face la détermination!!! Entretemps, la docteure a sorti la ventouse, car le bébé est encore trop haut!!! La ventouse, un siphon de toilette jaune. On dirait un instrument d’hôpital sorti directement des années 30!

Elle pousse, pousse, pousse… On voit la tête de Théo!

Ma blonde donne une dernière poussée… le 2 septembre à 19h20, BONSOIRRRRRR il est arrivé sans la ventouse.

À ce moment précis, j’ai le goût de monter sur le toit de l’hôpital et de crier ma joie. Comme les mousquetaires, nous sommes maintenant quatre!

Quand il est sorti, il n’a pas crié « second base »… il a tout simplement pleuré, car on l’enlevait de son confort paradisiaque! On met Théo sur le ventre de sa maman comme un veau d’or! La fierté qui m’envahit face à ma blonde est indescriptible!!!

  • (Karine) Pat, c’est Théo, c’est Théo, c’est Théo…

Pour fin de l’histoire, le test d’Apgar de Théo est de 10/10. Son cœur allait au ralenti car son cordon ombilical était très court! Un beau bébé parfait.

Je sors pour appeler notre monde. Étrangement, dehors, je m’aperçois que la Terre n’a pas arrêté de tourner.

Quelques heures plus tard, dans la chambre 412…

Il est 2h45 du matin, ma charmante conjointe est tombée au combat. Elle dort paisiblement dans les bras de Morphée. Elle dort du sommeil du juste après un dur labeur.

Moi, je suis dans la chaise berçante à côté du lit avec mon garçon dans les bras! Je le berce doucement et je lui parle de son papa en chuchotant. Il a les yeux fermés!

Je suis seul avec mon fils dans la nuit, une ombre de lumière nous éclaire via la porte entrouverte de la chambre de bain. Soudain, il s’ouvre les yeux et il me fixe. On se connaît, mais on ne se connaît pas!

Il me regarde. À ce moment précis, après Karine (ma blonde), Mathilde (ma fille), voilà que pour la troisième fois de ma vie, je tombe en amour pour la vie.


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