Magazine Journal intime

Acte II, scène 5

Publié le 06 juillet 2008 par Pffftt

Dans chaque rétro, chaque vitrine, dans le miroir du matin et dans le regard ahuris des connards de la rue se reflétait mon pif explosé. Tout le jour. J'aimais ce nez éclaté par elle. J'aimais ma gueule d'abruti de celui qui s'est fait avoir d'une rencontre et je ne m'en lassais pas. Pour une fois, nan, je ne me lassais pas de moi.Le velux était resté ouvert et la nuit étoilée qui m'emmerdait à me fixer sans bouger. Je tripotais pensivement le stick gracieusement offert par l'un des "témoin" de Lila, et l'air de rien je tentais de patienter. Comme un faux calme, un qui sait que "tout vient à point à qui sait..."et merde!Depuis 5 jours que j'avais commencé ce taf, je faisais une interview par journée et je n'avais croisé que de drôles de zigs. Des gens d'ici et de loin, sourire ou la tronche, assis et debout, grands, petits voire moyens...Ils étaient priés de me parler d'un type et de leurs souvenirs avec lui... de ce qu'il avait été, de ce qu'il pourrait bien devenir... C'était un job facile... Ils étaient tous plutôt bavards. Ce type s'appelait Marius Colin. Je me demandais pourquoi lui, et aussi ce que Lila aurait bien pu lui trouver. Sauf qu'elle refusait de répondre à ma curiosité et elle répétait avec ses grand yeux saturés de brillant et de mat : "j'ai seulement besoin de ces enregistrements Denis, et après je pourrais terminer ce merdier de premier roman..." Et je voulais moi qu'elle en finisse avec ce truc. Parce que j'attendais juste qu'elle sorte de ma vie, et après, faire place nette et remettre un peu d'ordre dans le bordel qu'elle avait foutu.Nan.J'attendais juste qu'elle reste dans ma vie et qu'elle me dise un truc tout simple comme : "Merci Denis, excellent travail!", et après, pour que tout rentre dans l'ordre.Elle et moi, ordre croissant, décroissant, du plus doux au plus violent...qu'importe.J'ai appuyé sur le "play" du dictaphone car Lila voulait des retranscriptions écrites mot à mot. "Pas de résumé" qu'elle exigeait, "je veux le 100% de ces gens Denis...je veux tout ou je ne veux rien, mais pas...Bon, vous voyez bien quoi...". Et elle se taisait. Parfois elle raccrochait sans explication et moi je restais con, toujours sidéré. J'arrivais pas à m'habituer qu'elle disparaisse, ça gélifiait le sang dans mes veines... ouais, ce genre d'alchimie... J'étais pourtant un grand garçon. Enfin je m'efforçais d'y croire.En même temps que le petit "clic" du bouton "play", la voix du type qui m'avait refilé le joint est sortie du dictaphone. Il se prénommait JP. C'était une voix chaude et froide, c'était la voix d'un mec fracturé, en dehors de la vie, et presque englouti. On aurait dit que le temps et les coups avaient glissés sur lui, mais qu'il n'avait plus beaucoup mal. J'ai commencé à taper la première phrase, dans l'idée de faire plaisir à Lila mais après cinq mots j'ai arrêté. J'étais trop naze.Je me suis levé et j'ai farfouillé dans le tiroir. Avec le briquet j'ai allumé le clope un peu magique. Mais il ne s'est rien passé. Soit j'avais passé l'âge de ces conneries, soit Lila me manquait pour de vrai... J'ai soupiré un peu fort et assis sur mon parquet mité, j'ai continué de fumer peinard... et la voix de JP qui m'embrouillait... et ça donnait ça (à peu près) :"Il a tout, je n’ai pas grand-chose, voilà l’histoire. Soupir
Je lui fous mon poing dans la gueule de temps en temps, je me sens con après mais je le fais quand même. Re soupir
Sa sœur est la femme que je kiffe le plus au monde, et en plus, il a les moyens de se bourrer la gueule à la vodka, évidemment il a un travail lui et respectable en plus ! Quinte de toux grasse
Je subis ce connard de Marius Colin parce qu’il est le frère de Flo et que je n’arrive pas à m’éloigner d’elle... léger silence un peu gêné
Mr Marius a une vraie gueule d’assistante sociale, il m’observe du coin de l’œil avec cet air de pitié de merde…et moi je peux pas blairer les pouffiasses dans son genre. Les services sociaux ont bousillé ma famille. Ma mère s’est pendue, mon père a trop picolé et alors ?
Je n’ai eu aucune chance je n’ai pas besoin que ce petit branleur me fasse la leçon.
J’écris mal, je parle mal, je ne sais rien faire, j’attends que les journées passent c’est tout.
Mon seul repère c’est Flo mais elle se casse au bout du monde, il me reste quoi après ça, il me reste qui ? Enorme, pesant et trés long silence
Je n’ai rien à dire sur ce con, je voudrai juste sa place.
Mais au final Marius Colin, n’a pas beaucoup plus d’atout que moi ; Il n’y a qu’à compter le nombre de nuits ou nous nous sommes retrouvés ensemble à gerber dans le caniveau parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire. On est tous pareil finalement : au fond du trou et des tonnes de sable et de boue pour nous étouffer. Mais il y a les orphelins et puis les autres.
Bah voilà, j’ai rien à dire de plus…
Dégages maintenant, tu me les casses !!!"
Ouais, des gens forts sympathiques que je croisais grâce à Lila...un autre monde...un autre regard...mort ou vivant...mais au coeur d'un truc inédit pour moi...est-ce que ça suffirait ?Qui va me répondre à ça bordel ?Y a personne ?Ben nan, y a jamais personne dans ces cas là...Je commençais à être bien, et un peu léger...le pieux me semblait assez loin et trop haut à escalader... je me suis mis en boule sur le tapis et je me suis pris à sourire comme un benêt en pensant nerveusement : "Putain, c'est quoi ce deal pourrav? C'est quoi l'arnaque derrière tout ça ? C'est qui ce connard de Marius Colin? Si jamais c'est son mec...alors faut croire que j'ai toutes mes chances...".Et après j'ai ronflé.Je suppose. Acte II, scène 5

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