Valéry Meynadier, Divin danger par Angèle Paoli

Publié le 06 avril 2018 par Angèle Paoli
Valéry Meynadier, Divin danger,
éditions Al Manar, Collection Erotica, 2017.


Lecture d’Angèle Paoli

« MERCI POUR CETTE FEMME »

Ni bacchante ni ménade, elle est femme libre qui a l’audace d’exposer au grand jour ses amours saphiques. Femme magnifique, brûlante dame tout habillée des ondulations de son « rire de chevelure », Valéry Meynadier se livre entière attachée à ses sens ainsi qu’à l’écriture érotique de ses passions. Érotisme / Écriture. Deux entrées indissociables pour accéder aux arcanes de Divin Danger. La première de couverture, illustrée par un dessin d’Albert Woda, expose le corps nu d’une femme abandonnée aux pâmoisons de l’amour. Plus explicite est le dessin de la double page de faux-titre, corps-à-corps de deux femmes livrées à leur passion amoureuse. Ce paratexte voluptueux est encore souligné par l’intitulé de la collection, Erotica, des éditions Al Manar. Un dernier dessin de deux femmes enlacées clôt cet ouvrage qui convoque dans nos mémoires une longue tradition de chants d’amours lesbiennes ou de toiles de même inspiration. Je pense notamment au Sommeil, peint en 1866 par Gustave Courbet. Mais aussi aux écrits de Natalie Clifford Barney, dite « l’Amazone », et surtout aux poèmes de Renée Vivien, à ces Évocations sublimes publiées en 1903 par l’éditeur Alphonse Lemerre.

« DOUCEUR de mes chants, allons vers Mytilène,
Voici que mon âme a repris son essor,
Nocturne et craintive ainsi qu’une phalène
Aux prunelles d’or. »

Toutefois, l’héroïne des plaisirs de Divin Danger est davantage l’héritière déclarée de Dorothy Allison — citée dans l’exergue de l’ouvrage — que de Renée Vivien ou de « l’Amazone », Natalie Clifford Barney. Elle est une Virginie citadine qui se laisse surprendre au hasard des rencontres dans les bars, les pâtisseries, les salons particuliers, les hammams, les chambres à coucher de ses amantes de passage, les halls d’entrées des immeubles et les rames de métro.

Mais tout commence pour Virginie à l’adolescence sur le « doux palier » de l’immeuble que ses parents partagent avec un couple de femmes dont l’enfant découvre, épie et appelle de ses vœux, les manifestations du « cruel bonheur ». « Onze ans d’impudent palier », cela forge une imagination et exacerbe les désirs. Le premier texte du recueil, « L’Emportée », évoque les émois que suscite en elle la « divine musique » qui monte des ébats de ces chères inconnues.

Le poème d’ouverture est une affirmation de la différence, revendiquée au regard de tous. Un chant saphique pleinement assumé :

« Je me sens loin des hommes et je m’y sens si bien que ça fait mal. Mon saphisme est une différence de plus.
J’ai pleinement abandonné la terre des hommes.
J’aime les femmes et personne ici ne me le reproche.
La mer est sans reproche.
Je suis passée à l’autre comme on passe de l’autre côté. J’ai rencontré le corps de la femme comme le criminel son meurtre. Comme l’interprète son instrument.
Plus jamais je n’oublierai. »

Le danger qui a longtemps menacé l’homosexualité se mue ici en une expérience séraphique. Laquelle se réitère à chaque rencontre. L’amour n’est-il pas « ascensionnel, comme la prière » ? « Quand je la regardais, j’entrais en religion », lance Sada à Virginie. « Comme le mystique cherche à atteindre Dieu, à travers la prière, je cherche à atteindre l’amour à travers la Femme, ma toute route à moi », conclut Virginie dans sa relation à Sada.

Une histoire prend fin, une autre commence. Chacune d’elles porte en titre le nom d’une femme. Doriane/Dorothy/Daou… Puis Christine, Sada. Ou encore les pronoms ELLE/ELLES. Les situations sont diverses. Les lieux aussi. Tout se joue dans le face-à-face, le dos-à-dos. Jeux de mains, jeux de regards, jeux de jambes, tout du corps est en éveil. Langue / doigts / peau / lèvres / humeurs / écume / mouvements. Externe / interne. Tout est vibration et sensualité. Les sentiments sont exacerbés. De l’amour à la haine. Du désir à la honte. De la jalousie à la « pire douleur », celle de se découvrir indésirée. De la passion à l’anéantissement. Et pour dire tout cela, il faut oser. Pour rendre compte de ces tensions extrêmes, il faut oser tous les registres de vocabulaire, toute la palette des sensations. De la tendresse la plus vive jusqu’aux détails physiques les plus crus. La narration est enlevée, alerte ; les dialogues s’enchaînent qui n’appesantissent pas le récit. L’écrivaine pare au plus pressé, veille à ne pas retenir l’urgence du plaisir. Elle évoque avec talent sa connivence avec les femmes, cette immédiateté sans pareille. L’irrémissible prend source dans la rencontre, la reconnaissance complice entre les peaux, les effleurements, secrets ou assurés.

Dans la scène du métro, les femmes font corps autour de Dorothy et de Virginie. Sans s’être donné le mot, d’instinct, elles forment « rempart » autour des deux amantes dans la foule. Elles se font « apôtres de leur plaisir ». Tous les savoirs sont conjugués. « Le phantasme doué de réalité est divin ». Sexe et sacré se conjuguent dans le même temps, dans la même rame. Bondée. Il faut de l’audace. La scène et les mots mis sur scène. Le réel, même nauséabond, se pare de beautés, de convoitises alléchantes. D’un chapitre à l’autre, d’une amante à l’autre, les situations s’enchaînent, inattendues, cocasses. Les rapports se précisent. Maquereau / putain ; maîtresse / esclave. Parfois interrompus par le surgissement inopiné d’une vieille qui vitupère et alerte son monde. Éros au féminin, omniprésent, n’affuble ni les mots ni les gestes ni les mouvements. Pas davantage les odeurs ni le goût savoureux pour la fureur d’un clitoris déniché de sa gangue par langue experte. Mais les rencontres sont éphémères, qui laissent l’héroïne désemparée. Il arrive parfois que les mots se dérobent. Qu’ils échouent à dire un corps, à se saisir de l’autre. La vie reprend le dessus avec la soif de liberté. Les noms se déclinent à nouveau, souvent dans leur duplicité. Dans l’écart qu’ils entretiennent entre réel et rêve. Face à cette dichotomie déchirante, comment faire se rejoindre les deux extrêmes ?

L’une sort de scène, l’autre fait son entrée. « Chaque femme est une nouvelle terre ». Chaque nouvel amour s’inscrit dans le précédent et annonce peut-être celui qui est à venir. Mais toujours revient comme une vague de fond le souvenir de la première femme. Et, avec elle, la nostalgie de ce qu’a été cet amour et qui ne sera jamais plus.

« Je t’ai aimée Doriane.
On aime son bourreau. Sa première femme c’est la mer la première fois.
Qu’y puis-je si cette mer était un bourreau ? »

La séduction est école de vie. Chaque jour apporte sa nouveauté. D’où vient que ce sourire n’est pas inconnu à Virginie ? Il vient « de l’intérieur de moi », dit la narratrice. Rien n’arrête, rien ne vient s’interposer. Autres lieux autres attentes autres visages, superpositions entre le déjà vu et l’à venir. Dans l’espace labyrinthique du hammam, les odalisques lascivement déployées sont parées pour le plaisir. L’univers est celui-là même longuement fantasmé par les peintres orientalistes. Un même décor, un même alanguissement, une même indolence. Ici règnent « luxe calme et volupté ». Dans une sorte d’état extatique, Virginie traverse et confie :

« Je suis dans l’étymologie de la femme, elle est là dans toute sa splendeur, à sa toilette, à sa détente, entre elles, en train de rire, dans cette vaste pièce divisée en six petites pièces où je n’ose m’aventurer, clouée sur place, des rigoles d’eau coulent entre mes sourcils, entre mes seins, Sylvie me demande si je vais bien. C’est trop beau, lui dis-je. Elle rigole elle aussi. L’art retrouve son innocence ici. Dans un des tableaux, une jeune fille se lave les cheveux au robinet incrusté dans le mur. Dans un autre, une femme remplit un seau bleu qu’elle verse ensuite sur son amie qui accueille l’eau froide à petits cris. Le troisième tableau me réserve la somnolence de trois corps et d’un ventre esquissé en oreiller. »

Pour qui a fait l’expérience du hammam (en France ou ailleurs), ces lignes renvoient à un espace féminin incomparable. Tout cliché sur le corps féminin se noie devant la beauté et devant l’âge, quels que soient les profils et contours qu’offrent ces nudités.

« L’étymologie de la femme ». L’expression me laisse sans voix. « Merci pour cette femme ». Qui ose cette vérité.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli



VALÉRY MEYNADIER

Source

■ Valéry Meynadier
sur Terres de femmes

Daou (extrait de Divin danger)

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Valéry Meynadier
→ (sur le site des éditions Al Manar) la page de l’éditeur sur Divin Danger
→ (sur Aller aux essentiels) d’autres extraits de Divin Danger

■ Voir encore ▼

→ (sur Terres de femmes) Renée Vivien | Atthis (poème extrait d’Évocations)
→ (sur Terres de femmes) Natalie Clifford Barney | C’était, je me rappelle…



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