Aujourd’hui, ce n’est qu’une date. Inscrite sur des papiers d’identité.
Ce n’est qu’un jour.
Ce n'est qu’une heure écrite sur une page signée par un médecin et les deux parents : 3 h 15.
La femme qui a poussé ce jour-là, à cette heure-là, pour que je voie le jour, et dont j’ai déchiré le corps en sortant d’abord les pieds, la vieille dame aux cheveux encore gris dont j’ai tenu la main tavelée quand elle est morte la bouche ouverte ne sont plus là. Entre les deux ma vie. Ma courte vie. Pourtant, ma mère est encore dans mes rêves, dans mon sang, dans mes os.
Je sais que le temps a commencé avant moi. Je sais aussi que des milliards de personnes ont vécu avant moi. Et sûrement autant après. Pourtant, je suis un peu de tout ce temps, de tous ces gens.
Dans mon esprit, je ne suis pas celle qui est sur les photos prises chaque année à cette date. Sur ces photos et devant le miroir, je ne suis que l’instant présent, je ne suis qu’un visage — au début poupin, maintenant plutôt ridé —, une infime partie de ce que je suis.
Mon corps a un âge, il compte les jours, il calcule le temps. Il a déjà couru, il marche maintenant. Il a eu un passé, et son futur s’amenuise.
Mon corps a un âge, pas moi. Pas le moi du dedans. Pas le moi qui lit et qui écrit. Tant qu’il pourra lire les mots de tous les temps, de tous les lieux, de toutes les races, tant qu’il pourra écrire tous les mots de tous les imaginaires, de tous les souvenirs, de toutes les libertés ou de toutes les prisons, de tous les siècles, ce moi n’aura pas d’âge.
Alors aujourd’hui, ce n’est qu’une date, je ne remarquerais même pas le changement de chiffre si je ne lisais pas les mots d’amitié qu’on adresse à ce moi du dedans qui n’a pas d’âge.